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Les concepts de la sophia-analyse
Date de publication : 10 Juin 2008
Herve ETIENNE, Responsable de la formation en Sophia-analyse au sein de l’ISAP.
Extrait de FF2P, « Qu’est-ce que la psychothérapie », Paris, Dunod, 2005.
La Sophia-analyse intègre les courants de la psychanalyse et développe sa propre identité. Le symbolique, pour Jacques Lacan, se situe entre le réel et l'imaginaire ; lors de l'interprétation psychanalytique, le psychanalyste offre à un matériel inconscient la possibilité de devenir conscient, en lui donnant un sens. Il permet à son patient d’acquérir une connaissance des problématiques inconscientes qui l’occupent. Il a une écoute flottante et il ponctue le discours de son patient afin de lui permettre l'approfondissement de sa recherche sur lui-même. Il élabore le matériel psychique apporté par son patient et l'interpelle ; il attend que son patient parvienne à une prise de conscience : un insight. Mais ces interpellations ressemblent souvent à des énigmes qui appellent à des solutions sans les lui donner.
Le sophia-analyste écoute le vécu existentiel de son patient, le synthétise et propose une interprétation et les transformations possibles :
- au problème de la haine qui n’est pas un sentiment mais un projet (haine refoulée) ;
- au problème de la culpabilité, derrière le sens de culpabilité se cache une vraie culpabilité (désir de possession, de meurtre) ;
- au problème de l’avidité qui est l’horreur du vide et l’intolérance au plein ;
- au problème de confiance du patient en ses capacités positives. Sa première tâche sera de mettre en évidence les parties positives et la capacité d’aimer de son patient. Il développera une alliance avec les parties positives, afin qu’il parvienne à l’élaboration de ses parties négatives et de son projet destructeur. Il va aider son patient à se faire naître en tant que personne libre.
La Sophia-analyse se réfère aux grands courants de la psychanalyse qui permettent de mettre au jour les déterminismes psychiques qui, dès les premiers moments de la vie, vont influencer le caractère et l’avenir de la personne. Elle y ajoute une approche phénoménologique, déclinée en cinq concepts interdépendants, créés par Antonio Mercurio.
La Sophia-analyse considère comme existentiel tout ce qui appartient et influence l'existence de l'être humain. De façon active, c'est le fruit de la dimension décisionnelle du Moi ; de façon passive, c'est le fruit des décisions de l'environnement de la personne et de ses conditionnements. L'inconscient existentiel comprend trois dimensions :
• Une dimension événementielle
Elle inclut les éléments structurant l'être humain au moment de la fécondation de l'ovule maternel par le spermatozoïde paternel : le patrimoine génétique de la personne et donc son univers pulsionnel. Cette dimension intègre aussi les composantes historiques, géographiques, culturelles et familiales, composant l'environnement du nouvel être. Il englobe aussi toutes les perceptions que l'être humain a de son environnement, des évènements qui le touche de manière agréable ou traumatisante. Ainsi les décisions parentales, familiales et sociales auront une importance particulière sur l'existence qui vient d'être conçue.
• Une dimension réactionnelle
Toutes les perceptions qui ont été enregistrées, seront suivies de réactions ou plutôt d'une chaîne de réactions, selon la loi : à un stimulus donné, il y aura une réponse. Ces réactions qui sont instinctives, suivent le principe de plaisir et le principe de conservation. Ici les réactions sont immédiates et certaines d'entre elles seront refoulées car il s'agit aussi de la survie de la personne.
• Une dimension décisionnelle
Elle recueille les décisions prises par la personne par rapport aux éléments qui ont structuré sa vie et conditionné son existence. Elle réunit aussi les décisions prises par rapport aux traumatismes subis directement ou indirectement. L'inconscient décisionnel est le lieu où s'ancre la liberté de la personne. C'est là qu'elle prend ses décisions constructives ou destructives, d'amour ou de haine. Le choix décisionnel est une réponse libre et responsable qu'elle se donne à elle-même, à ses parents et à la vie.
Les dimensions psychiques et corporelles de la Sophia-analyse intègrent d’un côté, les apports de la psychanalyse anglaise, ceux de Mélanie Klein et de Donald W.Winnicott pour le Moi psychique, de l’autre, ceux de Wilhelm Reich et d’Alexander Lowen pour le Moi corporel.
Le Moi psychique et le Moi corporel sont deux instances liées aux dimensions événementielles et réactionnelles de l'inconscient existentiel. Elles permettent de comprendre les réactions de la personne aux stimuli, et cela dès les premiers moments de la vie. Dès la vie foetale, des douleurs et des émotions importantes ont été enregistrées de façon non verbale.
. La Sophia-analyse se réfère à l'approche de Donald W.Winnicott sur le holding et le handling maternel. Dans un premier temps, les besoins psychiques et corporels de l'enfant sont assurés par sa mère. Ainsi l'enfant a une connaissance instinctive des satisfactions qu'il peut obtenir par une soumission et une attente active dans la relation à sa mère. Le Moi corporel est lié aux besoins de contact, de tendresse, d'affection ; le Moi psychique aux émotions positives ou négatives, aux perceptions et aux fantasmes conscients et inconscients. Les Moi psychique et corporel sont soumis au principe de plaisir, à la satisfaction immédiate des besoins. Si une pulsion n’est pas satisfaite, elle trouvera une issue dans le corps. Le Moi corporel l'exprimera de façon somatique.
Le concept d'objet kleinien étaye nos dimensions psychiques et corporelles. Si les frustrations ont été trop importantes ou si les traumatismes ont été trop violents, une colère et une haine consciente et inconsciente, comme réaction, auront besoin d’être exprimées et entendues.
Les dynamiques des groupes psychothérapeutiques de Sophia-analyse permettent une élaboration importante : contacter la blessure, repasser par la réaction, exprimer la colère et élaborer la destructivité. Le point de vue de D.W. Winnicott donne une idée du contenu de la dynamique de ces groupes.
(Voir article sur les psychothérapies analytiques de groupe de la Sophia-analyse.)
Les interactions entre parents et enfants assurent les transmissions psychiques intergénérationnelles. Si le parent déverse sur l'enfant son propre manque affectif ou intellectuel (projet de vie), l'enfant hérite de la problématique non résolue du parent. L'enfant subit un fardeau générationnel (le traumatisme) qu'il ne peut pas intégrer à sa personne, tout en essayant d'y répondre. L’identification projective et la projection sont les voies de la transmission psychique : le sujet projette sa partie infantile sur son enfant et/ou son partenaire et s’identifie à l’agresseur qui lui a fait subir le traumatisme. Là où il avait été passif, il devient actif, il se venge. Il travaillera sur une culpabilité réelle liée au processus décisionnel et au projet de se venger qui l’accompagne. (conscient ou inconscient.)
Le Moi personne est l’instance décisionnelle qui permet à l’être humain d’assumer sa liberté d’être. Par rapport aux conditionnements subis, le Moi personne peut prendre des décisions d’amour, constructives ou des décisions de haine, destructives. Certaines de ces décisions ont été prises dès les premiers instants de la vie.
Pour la Sophia-analyse, l’homme a la liberté de développer sa capacité d’aimer et sa capacité de détruire. Cette liberté lui donne la capacité de dépasser les déterminismes psychologiques, sociaux, culturels, dans lesquels il peut se croire enfermé. Même si sa liberté est limitée, il peut prendre en main sa vie et décider du projet qu’il veut se donner : construire sa vie et/ou détruire sa vie.
Le sophia-analyste aura toujours deux niveaux d’écoute et d’analyse : celui de la réaction psychique et celui de l'agir existentiel. C'est dans l'agir qu'apparaît le Moi-Personne. L'agir n'a rien à voir avec le passage à l'acte qui est une réponse à un besoin psychique. Le groupe de Sophia-analyse est l'espace privilégié où sont mises à jour dans l'ici et maintenant les décisions existentielles prises par la personne à partir des blessures narcissiques, des frustrations préœdipiennes ou oedipiennes et des fantasmes qui les accompagnent.
L’agir dans le groupe permet à la personne d’entrer en contact avec son Soi personnel, instance qui la met en relation avec son projet de vie et qui lui suggère les modalités et les situations pour dépasser créativement sa haine et ses conflits. Ce dépassement ne se fait pas sans traverser une grande douleur ; celle de mourir à une identité psychique qui était devenue une partie de la personne. Le Soi invite à faire ce chemin au cours duquel on passe du principe de plaisir au principe de joie. Il est fait de perceptions relatives qui influencent le Moi-Personne. Le Soi porte en lui-même l’identité de la personne, son projet et le processus pour y parvenir.
La réalisation en tant que Personne : la capacité d’aimer et d’être aimé.
L'amour est décrit par Antonio Mercurio comme un pouvoir actif qui crée soi-même et l'autre comme personne. Il s’inspire d’Erich. Fromm qui pensait que l'amour est un art. On ne devient pas automatiquement capable d'aimer. Dans son livre, A. Mercurio dénonce trois erreurs communes sur l'amour :
1) On pense aimer alors que notre demande est : « Aime-moi ». Pour essayer de se faire aimer, on séduit pour attirer une personne dans son univers affectif. Inconsciemment, au lieu de nous rendre aimable, nous avons placé une série d'obstacles entre nous et l'autre : le manque de confiance et de disponibilité par exemple.
2) Les échecs et les souffrances liés au manque d’amour, trouvent une explication : c’est l’objet qui est inadéquat. On ne pense pas que c'est sa propre capacité à aimer qui est en cause. La préoccupation reste extérieure, "Je me suis trompé de personne" se dit-on. Alors on attend la rencontre exceptionnelle.
3) La confusion entre tomber amoureux et aimer : quand nous tombons amoureux, nous sommes amoureux de cette force que nous ressentons en nous-mêmes, l'autre n'existe pas encore. Il se dévoilera quand l'état amoureux cessera. Un rapport d'amour implique la durée et la rencontre avec l’autre dans sa différence.
Les concepts de la Sophia-analyse proposent l'élaboration d'un concept d'amour comme une décision libre prise dans la liberté, la réciprocité, et la continuité de sa capacité à s'aimer soi-même, et dans le libre don de soi envers l'autre et les autres. L'individu se doit d'effectuer un passage, celui de l'amour-passion où il est passif, à l'étape active et créative de l'amour mature. Nous ne dépendons plus de l'autre pour exister, nous nous réalisons dans notre projet personnel. Nous passons du besoin d'exercer un pouvoir sur l'autre et ainsi de le dominer, à un pouvoir actif qui nous crée nous-mêmes et l'autre comme Personne, en faisant de notre propre vie une œuvre d'art.
Bibliographie :
Binswanger, L., Sur la fuite des idées, Grenoble, Ed. Jérôme Millon, 2000.
Ciccone, A., La transmission psychique inconsciente, Paris, Dunod, 1999.
Eiguer, A., Du bon usage du narcissisme, Paris, Bayard Editions, 1999.
Etienne, H., Invitation au voyage, Paris, Bulletin de l’ISAP n°22, 1999.
Freud, S.( ), Cinq psychanalyses, Paris, PUF, 1999.
Fromm, E., L’art d’aimer, Paris, EPI, 1968.
Khan M., Figures de la perversion, Paris, NRF, Gallimard, 1981.
Klein M., La psychanalyse des enfants, Paris, PUF, 1986.
Mercurio, A., Amore e Persona, Roma, Bulzoni, 1979.
Mercurio, A., La vie comme œuvre d’art, Rome, Ed. SUR, 1988.
Mercurio, A., La vita come opera d’arte e la vita come dono spiegiata in 41 film, Roma, Ed. SUR, 1995.
Nasio, J.-D., Enseignement de 7 concepts cruciaux de la psychanalyse, Paris, Rivages, 1988.
Winnicott, D.W., De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969.
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