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L'inconscient existentiel

Date de publication : 10 Juin 2008

Ombretta Ciapiani Bonvecchi, Responsable de l’IPAE de Cosenza (Italie), Extrait de l’article paru dans « International Journal of Psychotherapy », Cerfax Publisching, Abingdon, vol 4, March 1999.

 

Nous sommes proches de la fin d’un siècle qui s’est ouvert avec les intuitions géniales de Freud et avec la création d’un nouveau moyen introspectif : la psychanalyse et l’exploration de l’inconscient. La découverte d’une vie psychique profonde, et de ses conflits, située au-delà de la sphère de la conscience, a contribuée à rendre plus complète la carte de l’être humain de notre temps. Les contributions de cette science de l’homme, enrichie par les travaux d’autres écoles et tendances de la psychologie du profond, ont été immenses et précieuses.
La Sophia-analyse propose l’idée qu’il existe le pouvoir pour l’homme de créer des solutions nouvelles pour résoudre les maux et angoisses qui affligent la vie des individus, des peuples et de la planète. L’inconscient existentiel et la vie intra-utérine sont les deux principaux champs de recherche explorés par la Sophia-analyse et nous souhaitons vous en parler brièvement dans ce texte.
Dans une conférence de 1981 intitulée « Nihilisme ou espérance ? », Antonio Mercurio répondait face aux questions de la psychanalyse classique qu’il n’est pas résolutif d’ouvrir les portes de la connaissance et de proposer la clé de l’interprétation, si la vérité ainsi trouvée, comme celle de Tirésias, s’unifie à la haine et non à l’amour. L’individu sauvegarde la mémoire des événements qui lui sont arrivés et les décisions qu’il a prises à cause d’eux, non seulement depuis les premières années de la vie, mais dès les premiers moments de la vie intra-utérine. Ces décisions sont d’abord affirmées puis refoulées et font partie des archives de l’inconscient existentiel.
Œdipe, grâce à la science de l’esprit dévoile les énigmes du Sphinx, mais il ne peut pas résoudre le problème de la peste, s’il ne cherche pas à dévoiler, avec l’aide de la sagesse intérieure de son Soi, la plus grande de ses énigmes, celle qui tourne autour de la décision ancienne et refoulée de tuer ses parents suite à la blessure narcissique qu’ils lui ont infligée en l’abandonnant sur le Mont Citerone, alors même qu’il avait déjà été rejeté en tant que fils au cours de sa vie intra-utérine. Le fléau de la peste offre à Œdipe l’occasion de contacter la blessure qui brûle à l’intérieur de lui-même et demande vengeance. Mais les yeux de Tirésias ne voient que ce qui est arrivé au moment de la naissance d’Œdipe et non ce qui est arrivé avant. Par conséquent, ce regard ne suffit pas pour éviter que les tragédies viennent s’ajouter aux faits ponctuels survenus dans l’histoire. Qui aura des yeux pour regarder encore plus en profondeur et pour offrir à Œdipe ce que Tirésias aveuglé par la rage ne peut lui donner ?
A. Mercurio affirme l’existence d’un inconscient évènementiel, réactionnel et décisionnel. Au terme existentiel, nous donnons une signification qui évoque le chemin évolutif de l’homme. Ce concept ne fait pas seulement référence à la dimension corporelle et psychique de l’homme, mais également à sa dimension spirituelle. Ludwig Binswanger, dans son anthropoanalyse développée en 1930, considérait l’importance de la dimension « historique » de l’homme dans la mesure où il le définissait comme un être capable de questionner ses comportements, de rechercher la vérité et l’authenticité de sa propre expérience, de son être dans le monde.


Dans son ouvrage « Théorie de l’inconscient existentiel », A. Mercurio écrit qu’il entend parler «d’un concept topique dynamique, lieu dans lequel sont inscrites, de la même manière que sont stockées des informations dans la mémoire d’un ordinateur, toutes les réactions d’amour et de haine propres au moi psychique et au moi corporel et toutes les réactions d’amour et de haine propres au moi personne, librement émises à partir des événements existentiels qui ont constellé la vie de chaque individu dès les premiers moments de sa conception. »
Il convient ici de préciser ce que la Sophia-analyse et sa méthodologie entendent par les concepts de moi personne et de soi. Antonio Mercurio les explicite dans un texte dont la première édition date de 1978 : la     « Théorie de la Personne ».
Le Moi Personne est l’instance centrale d’attribution de toutes les composantes visibles et invisibles de l’individu, sujet responsable, doté de liberté et d’une identité propre. Il est fin à lui-même et à personne d’autre et ses éléments constitutifs sont la capacité de s’aimer, d’aimer les autres et d’être aimé, comme la capacité de se haïr et de haïr les autres.
Le Soi, dans lequel est inscrit le projet personnel unique et non reproductible de chacun, est le centre            « propulseur » de la personne, sa partie positive la plus importante, la plus riche en potentialités créatives, la source infinie d’amour. C’est pour cela que le soi n’est pas un ensemble psychique comme l’a décrit Jung, mais plutôt une dimension personnelle à l’intérieur du moi de l’homme, qui agit en sa faveur.


Il existe au moins trois niveaux structurels de l’inconscient :
L’inconscient évènementiel qui regroupe tous les faits agréables et désagréables qui ont marqué la personne et son environnement depuis sa conception. Cette conception l’a en quelque sorte modelée et conditionnée.
L’inconscient réactionnel qui comprend toutes les actions, réactions immédiates, instinctives propres au Moi psychique et au moi corporel qui sont soumis à la loi de l’auto-conservation et du principe de plaisir.
L’inconscient décisionnel, mémoire vivante de toutes les décisions dans lequel le moi personne depuis le stade embryonnaire jusqu’au stade adulte choisit la haine, la destructivité et la victimisation ou l’amour de soi et l’amour de la vie afin de réaliser son projet personnel.


Au cours de ces stades précoces, il n’est pas possible de supporter l’intensité de la douleur, de la rage et de la haine. Cela amènerait à l’abolition totale de l’omnipotence infantile et à la fragilité du moi dont parlent les études psychanalytiques. Si l’amour de soi et la nécessité de survie impliquent que ces vécus soient refoulés dans l’inconscient existentiel de l’être humain pendant de nombreuses années, ce qui fut une solution sage dans le passé peut se révéler inadéquat et source d’infinies souffrances et scissions dans le présent et cela tant que ce passé n’est pas affronté et transformé.
La compulsion de répétition engendre d’angoissants conflits et absorbe des énergies énormes qui vont à l’encontre de la créativité et du projet personnel. Il faut cependant savoir que la résolution de ne pas œuvrer pour chercher et suivre notre projet personnel nous rend malades physiquement, mentalement et nuit à la santé de notre esprit.


Dans l’optique thérapeutique de la Sophia-analyse, l’existentiel occupe une place de première importance. L’exploration de la vie après la naissance à laquelle s’ajoute la possibilité de revivre pour les transformer les traumatismes de la vie avant la naissance et la capacité de reconnaître et de dépasser la haine accumulée au cours de ces deux périodes, constituent un instrument de recherche et de travail à même de contenir et de libérer un très grand potentiel énergétique.
Tracer une carte de cet inconscient existentiel permet de connaître les décisions qui ont été prises dans le passé et qu’il convient de garder parce qu’il s’agit de décisions d’amour et de créativité. Cette méthode permet aussi de repérer les décisions qu’il faut changer pour transformer sa propre histoire grâce à l’identification et à l’intégration des parties clivées en vue d’assumer dans la vie adulte un pouvoir créatif et des capacités de transformations engageant la responsabilité.


D’après la Sophia-analyse, il n’est pas possible de se laisser engloutir par l’envie suicidaire et l’homicide, on peut travailler pour devenir des personnes unifiées autour de ses parties négatives et positives, autour de la haine et de l’amour. Il faut pouvoir unir la science, le cœur et l’art pour amorcer un engagement thérapeutique qui puise dans l’énergie propulsive de l’inconscient existentiel éclairé et intégré par le moi.
Œdipe est convaincu et Freud avec lui, que ce qui lui est arrivé trouve ses origines dans la première année de la vie. Personne ne l’a aidé à retourner en arrière dans le ventre maternel, jusqu’au moment de la conception, lorsque Laios et Jocaste réalisent le projet de vengeance de leur couple. En faisant cela, ils infligent une blessure narcissique telle que le moi fœtal d’Œdipe ne réussit à survivre que grâce au recours massif à toute la haine dont il dispose. Œdipe ne sait pas que Jocaste a rendu Laïos ivre afin de réaliser avec ruse une grossesse motivée par l’orgueil et la volonté de pouvoir sur sa lignée et celle de Créon et afin de se venger des torts que lui a infligé son mari. Il ne sait pas que Laïos, s’adonnant à un plaisir sadique, cherche à rendre l’hospitalité du roi Pélops en exerçant sa violence sur le fils Chrysippos et que sa seule motivation est d’affirmer son désir de possession absolue de la mère et de sa vie en prétendant être l’unique fils.
Mais tout cela est inscrit dans l’inconscient existentiel d’Œdipe et c’est là que sont conservées ses décisions de mort. Elles agissent à son insu et conditionne toute sa vie future. La douleur, la dépression, les clivages, la rage, la haine et le projet de vengeance refoulés dans l’inconscient existentiel d’Œdipe font retour, amplifiées par le retour à Thèbes, lorsqu’il tue le père et recrée l’ancienne étreinte mortifère avec la mère, l’obligeant par la suite à se pendre en la harcelant dans sa recherche de la vérité, une vérité qui tue et qui aveugle.
Aucun devin n’a révélé une autre vérité à Œdipe, une vérité qui serait le fruit de la sagesse, entre le moi et le soi en provenance du cœur : « Tu portes à l’intérieur de toi, une haine suicidaire et homicide, mais il n’est pas nécessaire que tu restes rivé sur la croix de cette faute. Si tu te libères de ce projet de vengeance qui trouve son origine dans la blessure et les injustices que tu as endurées, tu pourras découvrir quel est ton vrai projet, celui pour lequel tu es venu au monde. Si tu décides d’épouser ton projet de vie qui exprime l’amour authentique que tu t’accordes, tu peux vaincre la haine, que tu l’aies agie ou non. Tu peux descendre dans les profondeurs de ta douleur et de tes traumatismes et en extraire l’énergie nécessaire pour naître au moi adulte et assumer un pouvoir créatif : créer la beauté et transformer ta vie en œuvre d’art. »
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Bibliographie :
Mercurio A., La vie comme œuvre d’art, Rome, SUR, 1988.
Mercurio A., Théorie de l’inconscient existentiel, Rome, Arianna, 1992
Mercurio A., Théorie de la personne, 2ème édition, Rome, Arianna, 1992.
Mercurio A., Les lois de la vie, Rome, SUR, 1995.
Mercurio A., Le voyage d’Ulysse, Rome, SUR, 1997.
Binswanger L., Essere nel mondo, Rome, Astrolabio, 1973.
Laing R. D., I fatti della vita, Turin, Einaudi, 1978.

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