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Le groupe en sophia-analyse
Date de publication : 10 Juin 2008
Hervé Etienne, Responsable de la formation en Sophia-analyse (ISAP).
Le groupe de Sophia-analyse comporte trois moments, le temps d’un libre échange où les participants parlent de ce qu’ils désirent ; ils vont choisir un thème et l’élaborer, puis les sophia-analystes vont restituer au groupe son vécu : c’est le temps de l’interprétation. Le dernier temps est celui pour les émotions et les questions personnelles, les participants s’adressent alors aux conducteurs du groupe.
Le groupe de Sophia-analyse se donne ses règles et ses coutumes pour fonctionner, le passage à l’acte y est interdit. Bion fut le premier à proposer un modèle théorique d’interprétation psychanalytique des groupes, sa théorie sert toujours de référence aujourd’hui. Il distingue deux modalités de fonctionnement qui existent en parallèle dans un même groupe :
Sa tâche va se définir dès le début du groupe. Une personne va parler et proposer au groupe une problématique qui lui appartient. Le groupe va l’accepter. Il se met au travail. Il va élaborer les processus psychiques secondaires :
- les perceptions sur le problème : « J’entends que, j’ai compris que, je ressens que … »
- la mémoire : Ce problème a une histoire. Le groupe va demander au participant de faire appel à ses souvenirs.
- le jugement, la suggestion : « je pense ceci ou cela, tu devrais faire, il faut que… »
- la logique, la rationalisation de la problématique afin de donner une solution.
- le raisonnement : suivant chaque point de vue des solutions sont envisagées.
Ce moment constitue l’approche cognitive du travail de groupe.
Le groupe est influencé par les émotions et les affects partagés inconsciemment par les participants. Soit ceux-ci favorisent le travail, soit ils l’entravent. Bion affirme qu’il y a un fond commun pulsionnel qui entre en conflit avec les buts conscients des individus. Il précise aussi que ces états affectifs sont archaïques et prégénitaux et nous y rajoutons ceux relatifs à la vie intra-utérine. Ainsi, sont réactivées chez chacun des participants des angoisses persécutrices et dépressives qui ont été vécues aux premiers moments de la vie.
La dynamique groupale sera le résultat d’un compromis entre les exigences du groupe de travail et celles du groupe de base. Ce compromis constitue pour Bion la culture du groupe. Bion distingue trois hypothèses de base qui sont des mécanismes de défense vis à vis de angoisses dépressives et persécutrices : la dépendance, l’attaque fuite et le couplage.
Le sophia-analyste se réfèrera également aux lois de l’inconscient existentiel. Antonio Mercurio les appelle les "lois de la vie". C'est la spécificité de la thérapie de groupe en Sophia-analyse.
La première loi : l’importance de se donner des lois pour apprendre à aimer.
Nous allons apprendre à reconnaître où notre haine existe. Dans notre histoire, la haine a souvent pris le voile de l’amour. Aimer, c’était imposer sa volonté. Au nom d’une éthique ou d’une vérité, tout était possible. Mais la haine apparaît aussi dès que détruire un équilibre est nécessaire, on parlera de haine positive.
Le groupe de sophia-analyse ne diffère pas fondamentalement des autres groupes. La référence à la horde primitive et à la violence comme principe organisationnel y sont le tronc commun. Nous y ajoutons un principe décisionnel qui nous est spécifique: les décisions d’amour et les décisions de haine.
La deuxième loi : l’amour circulaire.
Si la haine a une place importante comme réponse à nos blessures, l’amour occupe la place centrale de notre travail. La réalisation de l’amour circulaire est le but du travail de groupe en Sophia-analyse. Le passage à l’amour comme don est le dépassement de l’amour possession, passion ou exclusion de l’autre ou des autres. L’amour circulaire s’oppose à l’amour à sens unique qui est souvent symbolisé par les alliances : mère-fille contre le père, père-fille contre la mère, (de même avec le fils) couple contre l’enfant, famille contre le social, groupe social contre un autre groupe.
La troisième loi : la confrontation avec la mort.
Comment faisons-nous face à la mort et de quelle mort s’agit-il ? La mort physique, notre esprit la repousse, une autre forme de mort se confond avec elle et se retrouve à toutes les étapes de notre maturation interne.
1) La première mort sera de renoncer à imposer sa volonté au groupe.
Il est impossible d’agir sans le consentement des autres.
2) La mort du moi narcissique, de l’idéal du moi.
Quand une personne commence à travailler et que les autres participants inter-réagissent avec elle, le groupe se centre sur le Soi choral et le Soi personnel plutôt que sur les thérapeutes comme propositions idéales, modèles, ce qui se fait dans beaucoup d’autres groupes. Effectuer ce travail est mourir à son moi narcissique, à son idéal du moi.
3) Entrer dans la mort plutôt que de la donner.
L’histoire d’Œdipe et celle de la horde sauvage font partie de la dynamique du groupe : chacun à cette capacité à donner la mort par l’exclusion de l’autre, en créant un bouc émissaire par exemple. Le groupe quand il écoute quelqu’un, se donne, mais il va aussi se reprendre dès qu’il se sent instrumentaliser : « Tu nous mènes en bateau. Tu nous fais tourner en rond ». Le groupe de Sophia-analyse est une personne qui se donne comme objet d’amour et qui se reprend.
4) La mort de l’idéal de perfection.
Dévoiler nos parties négatives à nous-mêmes et au groupe n’est pas une mince affaire. Dans le travail de groupe, rester prisonnier de son idéal de perfection peut laisser une personne sans parole une année entière. Cet idéal, pour le conserver nous réduit au silence sur nous-mêmes.
5) La perte de l’objet d’amour idéal.
Dans notre toute-puissance d’enfant, pouvons-nous nous contenter d’un objet d’amour ordinaire ? Non. D’un objet idéal à la hauteur de nos besoins, évidemment. La blessure du Moi fœtal est liée à ce manque. Alors partir à sa recherche est vital. Dans cette quête vaine, la personne va inonder de reproches l’autre. Mourir à ce désir d’un objet d’amour idéal, c’est renoncer à ce qu’on estime que la vie nous doit.
6) La perte de l’objet d’amour réel.
Ce sont les deuils que l’on traverse dans la vie lorsqu’on perd un de nos proches, lors des séparations ou lors du départ d’une personne d’un groupe. Grandir suppose d’accepter ces pertes. Ces pertes préparent à celle du groupe vécu comme utérus.
La quatrième loi : la liberté de la personne
La Sophia-analyse propose le passage de l’amour et la haine comme réaction à l’amour et la haine comme décision. La liberté de l’homme en tant que personne est symbolisée par ce passage de la réaction à la décision. C’est à nous d’affirmer et de développer :
- La liberté de reconnaître nos conditionnements reçus par l’histoire, notre famille, la société.
- La liberté de pouvoir régresser pour connaître les réactions et les décisions que nous avons prises dans notre passé afin de voir si nous voulons les garder ou les changer.
- La liberté de pouvoir choisir entre l’amour et la haine au lieu de se sentir choisi par l’amour et la haine, c’est le passage de la réaction à la décision. C’est la liberté de pouvoir se sentir responsable des décisions d’amour et de haine, consciente ou inconsciente, présente ou passée afin de ne plus se sentir victime.
- La liberté dans notre rapport de couple de pouvoir se donner et se reprendre pour pouvoir se donner à nouveau afin que l’amour dans le couple soit fondé sur la liberté et pas sur la nécessité ou le chantage affectif.
- La liberté de suivre son soi personnel et cosmique, celui-ci étant dépositaire de notre projet et de l’énergie d’amour nécessaire à sa réalisation. Cette relation au soi est un apprentissage fort complexe.
- La liberté d’avancer à son propre rythme dans le processus de la connaissance de soi, dans le processus du dépassement et de l’affrontement de ses propres traumatismes et conflits.
La cinquième loi : le dépassement de la culpabilité
La paix intérieure repose sur le dépassement de la culpabilité et non sur sa négation. La puissance de l’énergie de la haine laisse notre personne sans force et si nous tentons de la retenir, nous devenons alors paralyser dans notre créativité.
Nous distinguons deux sortes de culpabilité : une fausse et une vraie culpabilité.
L’origine de la fausse culpabilité est dans le surmoi qui dicte sa volonté sur ce qui est le bien et le mal. Il a un caractère oedipien et social. La vraie culpabilité repose sur un jugement sur la qualité des décisions que nous avons prises quand elles sont centrées sur la haine destructive. Tout ce qui ne respecte pas la personne, la nôtre ou celle des autres est une expression de cette haine et elle engendre la vraie culpabilité. La vraie et la fausse culpabilité sont intimement liées car derrière tout sentiment de culpabilité se cache une vraie culpabilité.
Notre orgueil et notre idéal de perfection vont niés cette culpabilité.
Il s’agit de détruire l’orgueil et l’idéal de perfection sans se détruire soi-même. Si nous sommes parfaits, faire le mal est une chose impossible et impensable. Au nom de cette perfection nous sommes prêts à tout anéantir sur notre chemin et il est bien sûr impossible que l’on puisse commettre une faute ou une erreur car l’estime de nous-mêmes serait alors ruinée pour toujours. Il est important de pouvoir regarder en face notre haine et de la reconnaître.
La sophia-analyse propose deux cheminements possibles : la réparation et le pardon.
Nous pouvons décider de réduire la haine qui nous habite afin d’en agir qu’une partie et non la totalité en renonçant à travers le pardon à la partie destructrice.
Mélanie Klein dit que, lors de la position dépressive, la culpabilité représente un facteur d’intégration du sujet dans la mesure où elle mobilise le mécanisme de réparation de l’objet détruit.
Sixième loi : le pouvoir circulaire.
Le problème du pouvoir est une préoccupation pour l’homme. Lorsqu’un projet lie ensemble plusieurs personnes, qui va dominer devient la problématique à dépasser sinon le projet commun sera détruit. Le problème posé par la horde sauvage s’incarne dans la réalité de chaque personne dès qu’il s’agit d’un projet collectif : il y aura le retour à la loi du plus fort. La Sophia-analyse pense qu’une nouvelle modalité du pouvoir est possible.
Elle propose de rechercher le pouvoir qui nous permettrait de rencontrer l’amour et la haine qui nous habitent à notre insu (haine refoulée). Le travail de groupe permet de faire apparaître la haine agit par habitude, que nous ne voyons pas et tout notre agir d’amour par habitude que nous ignorons. Il s’agit de passer par la connaissance de la haine animant notre structure conçue pour survivre pour arriver à développer notre capacité à aimer animant une nouvelle structure que nous mettons en chantier tout au long de notre thérapie individuelle et de groupe. Il s’agira de développer une nouvelle modalité : le pouvoir circulaire
En conclusion
Le travail en groupe permet la mise au jour des conflits et des décisions prises antérieurement (l’inconscient existentiel) qui entravent l’unification de notre personne. De notre inconscient existentiel, nous ferons émerger ce moi fœtal qui reste collé aux traumatismes et qui vit avec ses mécanismes de défense : la répression et le refoulement de la haine
La Sophia-analyse permet d’intégrer les lois de la vie et d’arriver à une meilleure perméabilité de la partie consciente avec les parties inconscientes de la personne.
Bibliographie :
Arnaud G., Psychanalyse et organisations, Paris, Armand Colin, 2004
Bion W.R.,Recherche sur les petits groupes, Paris, PUF, 1995
Enriquez E., L’organisation en analyse, Paris, PUF, 1997
Enriquez E., Les jeux du pouvoir et du désir dans l’entreprise, Paris, Desclée de Brouwer, 1997
Mercurio A., La vie comme œuvre d’art, Rome, Ed. SUR, 1988
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