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La philosophie existentielle
Date de publication : 10 Juin 2008
Annie Fortems
La Sophia-Analyse est une psychothérapie analytique et existentielle. Elle comporte une proposition anthropologique, c'est-à-dire qu’elle propose une conception, une vision de l’homme. Nous avons décidé de travailler plus précisément cet aspect « existentiel ». Quand parle-t-on de la philosophie de l’existence et de quoi, de qui parle-t-on ?
Tout d’abord, nous allons faire un retour en arrière très global :
La philosophie a été créée au V siècle avant notre ère à Athènes par les grecs qui ont bâti les fondations de notre culture et de notre réflexion occidentale.
- Les pré-socratiques luttent contre la mythologie et la théologie par l’étude des sciences de la nature.
- Après eux, Socrate parle d’un logos c'est-à-dire d’une pensée rationnelle, d’une parole, d’un discours cohérent qui se libère progressivement du mythe. La maïeutique socratique consiste en l’accouchement de la personne par la parole. Socrate est l’inventeur de la dialectique.
Pour lui, il y a des règles immuables et intemporelles concernant le bien et le mal, contrairement aux sophistes pour qui les notions de bien et de mal sont relatives et changent en fonction des lieux et des époques.
- Son élève, Platon (428-348 avant JC) a 29 ans à l’exécution de celui-ci. Il tente de réhabiliter son maître en écrivant les dialogues de Socrate. Mais il a aussi développé une pensée propre. Les phénomènes naturels ne sont que les ombres de formes ou d’idées éternelles. (Référence à l’allégorie de la caverne) Il part de la pensée de Socrate : la vertu réside dans la connaissance du bien et nul ne fait le mal que par ignorance du bien. Mais comment fait-t-on pour accéder à la connaissance du bien ? Pour Platon, s’efforcer d’atteindre la sagesse, c’est s’efforcer de se ressouvenir d’une connaissance que nous avons acquise autrefois lorsque nous séjournions auprès des dieux. (Théorie de la réminiscence) C’est savoir se ressouvenir d’une sagesse divine qui est en nous.
N’est-ce pas proche de ce qu’Antonio Mercurio va entendre en utilisant le concept de Soi et de Soi Cosmique dans la Sophia-analyse ?
- Aristote (384-322 avant JC), après avoir suivi l’enseignement de Platon dans une Académie pendant plus de 20 ans, s’en écarte et crée une institution rivale, le Lycée. Il retient de cet enseignement l’idée que la connaissance est la recherche du nécessaire, de l’universel et non de l’opinion. Mais, il récuse la théorie Platonicienne des Idées et la sophistique en inventant la logique. C’est un encyclopédiste au sens où il va assurer la totalisation du savoir de l’époque. Autant, Platon se détourna du monde des sciences pour aller voir au-delà de tout ce qui nous entoure, voir le monde éternel des idées, autant Aristote s’intéressa aux phénomènes naturels et utilisa aussi ses sens : il examina les animaux, les végétaux, les minéraux. Il a écrit sur toutes les sciences. Il fut le grand systématicien qui fonda et ordonna les différentes sciences : les sciences de la nature, l’astronomie, la théologie, la physique. L’expérience nous fait connaître le fait, la science la cause.
- Au XII siècle : Descartes (1596-1650) est en rupture avec la scolastique (Philosophie héritée d’Aristote et revisitée par la théologie avec St Thomas qui a primé tout au long du Moyen-âge) Son « Cogito, ergo sum » (« Je pense donc je suis. ») lui permet d’affirmer que la découverte de l’existence est une conséquence de la découverte de la pensée.
- Au XVIII siècle, les maîtres mots des « philosophes des Lumières » sont la raison par l’expérience et la nature. (Diderot, D’Alembert, Rousseau, Voltaire)
Ce siècle, s’achève en apothéose avec l’immense philosophe allemand des lumières, Emmanuel Kant (1724-1804). A l’affirmation cartésienne « Je pense, donc je suis », il répond « Que puis-je savoir ? », « Que dois-je faire », « En quoi m’est-il permis d’espérer ? ». Pour Kant, il y a un préalable à la pensée, il y a pas de raison pure. Avant de pouvoir penser, il faut avoir fait l’expérience de l’espace, du temps, des sens. Il relie la raison à l’empirisme et au sensible.
- Au XIX siècle, une figure s’impose, Friedrich Hegel (1770-1831). C’est, avec Marx, un philosophe de l’histoire, influencé par le progrès intellectuel et matériel du Siècle des Lumières et l’événement majeur de la Révolution Française.
Il crée un système de pensée dans lequel ce n’est pas la Nature qui sera le modèle mais l’Histoire. Son dynamisme, son progrès deviennent l’objet de spéculation. Il pense que ces temps troublés (Révolution Française, Napoléon, la révolution industrielle) sont une occasion propice à une élaboration d’une théorie englobante qui reprend l’immense production de la pensée philosophique métaphysique en la replaçant dans l’histoire des peuples afin d’achever cette métaphysique et de la réaliser. Le marxisme prédisait la fin de la philosophie car celle-ci n’aurait fait qu’interpréter le monde au lieu de le transformer. On pense donc assister à la fin de la philosophie d’autant plus que la technique de la révolution industrielle, le scientisme, le positivisme sont en train d’influencer toutes les disciplines. Et pourtant, contre toutes attentes, émergent des approches philosophiques radicalement nouvelles, les philosophes dits de l’existence.
Les philosophes de l’existence du XIX au XX siècle :
Qui sont-ils ? Kierkegaard, Husserl, Heidegger, Sartre.
• Soren Kierkegaard (1813-1855) est un danois.
C’est le fondateur de l’existentialisme contemporain. Il est le représentant de l’existentialisme chrétien. Contre Hegel, contre tout système et toute déification de l’histoire, il donne une place privilégiée à l’individu car, à ses yeux, l’important est d’être subjectif. Pour lui, l’individu à une existence unique, singulière, avec toute sa subjectivité et la liberté notamment de croire en Dieu. La subjectivité est conçue comme l’intériorité du sujet individuel, comme l’accomplissement spirituel de l’individu. Pour lui, devenir subjectif est la plus haute tâche assignée à chaque personne. Kierkegaard a fortement influencé Heidegger et Sartre.
Pour lui, l’existence passe par 3 étapes, 3 stades essentiels :
- Le stade esthétique
L’esthéticien est celui qui fait de la jouissance le but de sa vie sans se préoccuper du Bien ni du Mal. L’opposition des contraires disparaît dans l’indifférence, il est dans le « ou bien …ou bien ». L’Esthéticien est à la fois chaque chose et son contraire, c'est-à-dire qu’il n’est rien. Comme tout homme il est constamment en face d’un choix : agir ou ne pas agir mais son art consiste à ne pas choisir.
Le fond même de sa nature, c’est l’angoisse qui ne se dissipe jamais, pas même dans l’instant de jouissance. Il souffre mais d’une souffrance stérile. Toute existence esthétique est vouée à la perdition, au désespoir. Parce qu’il croit que le malheur est hors de lui, dans la multiplicité des choses qui passent et qui meurent, le désespoir de l’esthéticien est stérile.
Mais l’angoisse de ce vide peut-être positive car elle contient aussi l’espoir car on se trouve dans une situation « existentielle ». L’esthète peut à ce moment faire le choix de faire le grand saut pour atteindre le stade supérieur.
- Le stade éthique
C’est un stade emprunt de gravité où l’on tente de vivre selon des critères moraux. Vivre au stade éthique, c’est mettre de la cohérence, c’est accepter ses obligations envers soi-même et les autres. En fait, à ce stade l’homme triomphe des vicissitudes par la volonté, par des choix et accède ainsi à une liberté. Mais cette liberté est stoïcienne donc relative et manque de légèreté.
Pour Kierkegaard, c’est au stade éthique que l’on rencontre le « héros », c'est-à-dire l’honnête homme qui remplit jusqu’au bout la tâche qu’il lui a été assigné. Mais ce stade n’est pas satisfaisant car l’homme de devoir finira par se lasser d’être si conscient de son devoir et de ne jamais faillir à la règle qu’il s’est fixé et qu’il y a donc un risque de régresser au stade inférieur esthétique.
- Le stade religieux :
Au plaisir des sens et à l’accomplissement du devoir, l’homme au stade religieux préfère la foi. Il ne joue pas un rôle, ni ne soumet sa vie aux règles générales : il est individu face à Dieu et l’expérience qu’il vit est une expérience authentique, singulière, intraduisible dans des concepts généraux. L’expérience de la foi, c’est donc l’expérience de sa liberté d’individu, de sa valeur infinie, de son existence singulière. C’est se mettre en situation de ne plus trouver de raison ou d’excuses à ses actes. Il prend le risque de sa responsabilité : la liberté de pêcher ou d’être sauvé. Pour Kierkegaard, c’est dans ce choix que l’angoisse apparaît. L’apprentissage de l’angoisse, c'est-à-dire la confrontation avec la liberté de choisir, est le suprême savoir de l’homme.
- C’est ce « stade religieux », avec ces concepts puissants de choix et de liberté de l’homme qui va avoir une grande influence sur les philosophes non chrétiens, au cours du XX siècle et c’est à partir de là que se développera une philosophie dite « existentielle » largement inspirée par Kierkegaard.
• Husserl (1859-1938), contemporain de Freud, aura une grande influence sur Heidegger, Sartre, Merleau-Ponty, Binswanger.
Il suit les cours de Brentano, comme Freud, et grâce à sa notion d’intentionnalité qu’il lui empruntera, il créera la Phénoménologie. C’est la science des phénomènes, c’est à dire de ce qui apparaît dans l’expérience. Husserl inaugure une méthode d’approche qui vise à aller au plus prés des choses, de la surface évidente de leur manifestation (« phénomène », en grec, signifie « ce qui se manifeste ») Le modèle occidental de la connaissance de la vérité depuis les grecs et repris par la tradition scientifique moderne depuis Galilée est celui des mathématiques (logique). Pour Husserl, le fondement de la logique nécessite des évidences originaires qui précédent toute construction d’un raisonnement ou d’un jugement. Il existe des vérités pré-logiques. Mieux, les seules vérités sur lesquelles on puisse fonder la science, et toute la philosophie, sont données dans un rapport originaire, éminemment concret de la conscience au monde, au cœur même d’un vécu de la conscience.
- Heidegger et Sartre adopteront cette démarche phénoménologique, pour tenter de saisir l’existence humaine dans ses manifestations originaires, authentiques, libres, avant toute rationalisation.
• Heidegger (1889-1976), assistant et disciple d’Husserl.
Auteur particulièrement difficile qui fut l’objet d’une intense polémique en raison de ses relations ambiguës avec le nazisme. Il n’en est pas moins un des penseurs les plus importants du XXème siècle. (« L’être ou le néant »)
L’être-au-monde de l’homme : Lorsque nous disons qu’une personne humaine est, nous voulons dire qu’elle est engagée dans un rapport de soi à soi. Le sujet Dasein (l’être-là) est en charge de lui-même avant même qu’il ne choisisse un comportement.
La liberté ne réside pas dans sa décision et ses choix mais dans la disponibilité de notre être-au-monde, pour nous confronter à la question du sens, nous ouvrir à l’être et son mystère. L’être-au-monde du Dasein redonne sens au mot monde. Je ne suis pas à côté d’autres hommes dans le monde, mais je suis au monde avec d’autres. Le monde, c’est celui que je bâtis avec d’autres.
(Voir la suite de la réflexion : article sur Binswanger )
Bibliographie :
Mercurio A., La vie comme œuvre d’art, Roma, SUR, 1988
Châtelet F., Une histoire de la raison, Paris, Seuil
Dhilly O., Piettre B., Les grandes questions philosophiques ; les grands philosophes de la Grèce antique au XX siècle,
Justein Gaarder, Le monde de Sophie, Paris, Seuil
Grand dictionnaire de la philosophie, Paris, Larousse CNRS
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