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La vie intra-utérine
Date de publication : 10 Juin 2008
Béatrice Hiltl
Bien des aspects de notre vie fœtale nous sont encore totalement inconnus.
La technique psychothérapeutique consiste à retrouver la mémoire de ses origines, et elle permet de remonter aux évènements qui ont concernés sa vie intra-utérine. L’individu conserve une trace d’une profondeur difficilement prévisible de ces évènements et c’est son devenir qui réactivera ou non celle-ci à la faveur de circonstances symboliquement significatives.
Lors du travail psychothérapeutique, la personne qui va contacter une de ses vérités profondes concernant l’histoire de ses origines, à travers la reviviscence de séquences du passé qui amène à des prises de conscience, va effectuer un travail évoquant d’une certaine façon celui de la grossesse. A partir d’un événement extérieur ou intérieur parfois minime, le « complexe » commence à grossir dans l’ombre. Cela demande un temps variable pour mûrir comme si la personne sentait qu’elle couvait quelque chose ; l’inconfort, le malaise, l’angoisse, très souvent accompagnée de symptômes physiques, la confortent dans cette impression. Puis, vient la résistance, le refus d’accepter cette vérité inacceptable. L’issue est alors incertaine et la relation thérapeutique peut être mise à l’épreuve. Si le sujet et le thérapeute ont tenu bon, l’expulsion s’amorce. En découvrant cette face cachée d’elle-même, le sujet est soulagé, libéré de son oppression, mais n’apprécie pas forcément de ce dont il a accouché. Il lui faudra encore relier cette prise de conscience aux réactions et aux conditionnements qui en ont résultés et ont influencés son fonctionnement affectif, afin de les démanteler et de les transformer.
Que dire de la conscience fœtale ? Elle se définit par un état d’homogénéité absolu, sans limites, sans frontières, dont on peut garder un goût de nostalgie irrésistible par la suite. La présence de la mère est indispensable, fait partie du paysage, mais n’attire pas l’attention. Elle ne devient perceptible que si elle dérange le fœtus dans son « égocentrisme » absolu et inconscient : maladie, accident, tentatives d’avortement, refus de grossesse, émotions fortes.
On pourrait dire que le mode de conscience fœtal se caractérise paradoxalement par un égoïsme total sans égo. Puisque la notion d’égo implique qu’il y ait l’existence de la notion de l’autre, ce qui n’est pas le cas à cette étape. Tout se passe comme si le mode de conscience fœtal obéissait à une loi de la nature. Le fœtus ne veut rien personnellement, son être biologique le réclame, une nécessité impérieuse dirige son développement.
De même que le soleil est nécessaire à la terre nourricière pour le développement de la vie, la présence du père contribue, par l’intermédiaire de la mère, à la protection vitale du fœtus. Sa voix, son contact à travers le ventre maternel, plus prégnant encore lors des relations sexuelles où le fœtus est complètement enveloppé par l’étreinte et l’amour de ses parents, appartiennent à l’univers nourricier. Comme la mère, son personnage sort de l’ombre et prend une consistance différenciée lorsqu’il devient source de difficulté, son comportement affectant la mère, le fœtus en reçoit les échos dans son antre.
Les souffrances du fœtus
Les humeurs de la mère changent son état interne et affectent le fœtus dans sa tranquillité.
• Peurs et angoisses
Une grande peur peut envoyer au bébé une véritable décharge aussi violente qu’un électrochoc. Dans le cas de chocs forts ou répétés, cela se traduira éventuellement chez l’adulte par des accès d’angoisse incompréhensibles et par des séquelles corporelles. Lorsqu’une personne retrouve en thérapie une peur de la période fœtale, elle se manifeste de manière très violente, elle éprouve des sensations d’une intensité extrême qui la tétanisent.
• Tristesse et dépression
La tristesse amenuise la respiration, elle ralentit et alourdit le corps qui perd de son dynamisme énergétique et émotionnel. Cette impression se communique au fœtus qui étouffe dans ce cocon gris. Il n’est pas rare que la dépression laisse des stigmates dans la sphère respiratoire qui peuvent perdurer durant l’enfance ou refaire surface ultérieurement sous forme d’oppression ou de suffocation insidieuses.
Le fœtus d’une mère déprimée se retrouve enveloppé d’un linceul qui affaiblit son propre élan qui va le pousser vers la naissance. Si l’humeur dépressive persiste, il se retrouvera, bébé thérapeute en herbe, ayant à charge la dépression de sa mère, s’éloignant ainsi davantage de ses propres besoins. Une fois adulte, il aura tendance à se rechercher dans sa vie affective, des personnes s’inscrivant sur le modèle maternel, autrement dit, incapables de lui donner la chaleur et l’affection dont il a besoin.
Quand la mère refuse la grossesse
• N’être pas désiré
Certains ont une énergie de vivre qui, bien que réactionnelle, les porte. Sinon, la plupart éprouve un mal et une culpabilité de vivre, car ne pas être désiré confirme à l’absurde.
L’adulte qui n’a pas été l’objet de désir à son origine risque de devenir une cible de choix pour la dépression et le doute de soi. Faisant place à une culpabilité pour occulter cette impuissance désespérante, avec la recherche de causes plus ou moins fondées dans la réalité : « Si je ne suis pas désiré, c’est de ma faute. J’ai quelque chose en moi qui l’a provoqué. J’ai en moi quelque chose de détestable qui provoque à juste titre le rejet et je m’acharne contre moi-même, me trouvant indigne de la vie et du bonheur. » En revanche, il me faut « payer » pour obtenir quoique ce soit ; payer « en nature » en me mettant sans cesse « à l’écoute » de l’autre ; tenter de devenir et de prévenir ses attentes et ses désirs supposés, sans qu’il ait besoin de les formuler, espérant ainsi éveiller en lui un sentiment de reconnaissance et une dépendance envers moi.
• Survivre à des tentatives d’avortement
Dans ce cas, l’enfant se trouve menacé dans son existence physique, ce qui fait surgir la terreur. A ce stade, la peur ne se conceptualise pas mentalement mais elle exerce une réaction physiologique à l’agression. Cela donnera par la suite une personne aux prises avec le désir de mourir, plus particulièrement le matin au réveil. Avec le cortège des manifestations d’angoisse et l’impossibilité de trouver la sécurité, ni chez soi, ni dehors. Même le sommeil est fui et les cauchemars de meurtre de sa personne sont fréquents. Ce climat d’horreur et de désespoir est identique à celui des personnes qui ont été victimes de viols incestueux. L’intimité est meurtrie à jamais.
Quand la mère fait défaut
• La mère « absente » de son corps
Une femme qui n’arrive pas à habiter son corps, qui est comme anesthésiée, se trouvera au long de sa grossesse encombrée par un corps étranger, perçu comme gênant plus ou moins son confort. Elle ne saura pas sentir son bébé ni entrer en contact avec lui, même si elle l’aime et désire sa venue. Le fœtus flotte alors dans une espèce de vide, malgré une protection physique indéniable. Le futur adulte aura appris, depuis son expérience prénatale, à vivre en étant, lui aussi, déconnecté de son corps, tel une coque vide, qui ne peut faire l’apprentissage de la relation d’affectivité à l’autre à travers la dimension corporelle. Ainsi, coupé de son corps, il ne sait pas ressentir le besoin de contact ou encore l’évite, parce qu’il sera source de fortes angoisses pouvant aller jusqu’à provoquer des atteintes cutanées psychosomatiques importantes.
• La mère malade
Une mère souffrant d’asthénie, par exemple, va transmettre cet état à son enfant qui se sent lui- même affaibli et en difficulté, contraignant son existence à se mettre en veilleuse.
Nous pouvons retrouver les traces de ce vécu chez des patients qui se plaignent notamment d’accès de fatigue inexplicables.
Quand le père dérange
• Le père destructeur
Un père qui rejette la grossesse, souhaite l’avortement et le manifeste tant par des gestes, des paroles ou des cris aura comme effet sur l’enfant de correspondre à des équivalents de tentatives d’avortement. C’est la peur qui domine, avec une sensation de destruction imminente. A l ‘âge adulte, cette situation antérieure peut se manifester à travers des angoisses nocturnes ou l’éprouvé d’un sentiment d’insécurité rendant impossible toute capacité de s’abandonner ou de se détendre. Certaine femmes peuvent en conserver une méfiance envers les hommes, voire, une haine, qui se traduira notamment par des difficultés sexuelles, en particulier, au niveau de la pénétration.
• Présence et absence du père
Le père absent va retentir sur les émotions de la mère qui, elles-mêmes, vont influer sur le bien-être du fœtus. Inversement, il arrive que le père, contrairement à la mère, accueille positivement la grossesse. Dans ce cas, sa présence sera perçue par l’enfant comme le seul pont avec la vie. Il fait alors fonction de « placenta symbolique » qui permet au fœtus d’exister.
Naître après un deuil
Parfois le deuil peut occuper entièrement la mère, rendant impossible l’accueil du bébé et instaurant le déroulement de la grossesse dans une sorte d’indifférence triste. Ou encore, le vide insupportable laissé par le décès (à l’occasion d’une fausse-couche, de la perte d’un enfant ou d’un proche) réclame d’être immédiatement comblé par une nouvelle maternité. Le spectre du disparu encombre souvent terriblement et perturbe le développement affectif de la personne dès l’enfance. Comme si celle-ci n’avait pas droit à la vie, éprouvant une culpabilité et une dévalorisation profonde qui rendent illégitimes tous désirs et demandes affectives. Comme si le destin était de rejoindre l’autre, puisque la mort semble préférable à la vie dans le cœur de la mère. Il existe alors une attraction pour le morbide qui pourra se manifester à travers la maladie, les accidents ou les interventions chirurgicales à répétition. Autre attitude : il s’agira de se nier totalement en devenant sage comme un ange !
Ne pas avoir sa place entière signifie que la personne va la rechercher tout au long de sa vie soit, en se "suradaptant ", soit, sur un mode actif, en revendiquant.
Bibliographie :
DELASSUS J.M., Le génie du fœtus, vie prénatale et origine de l’homme, Paris, Dunod, 2001
MASSIN C., le bébé et l’amour, Paris, Aubier, 1997
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