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La prématurité

Date de publication : 10 Juin 2008

Béatrice Hiltl


La naissance prématurée fait venir au monde un enfant qui se trouve contraint de vivre séparé du corps maternel, alors qu’il conserve les besoins d’un fœtus.
Ce phénomène s’accentue aujourd’hui, grâce aux progrès techniques, qui permettent à un certain nombre de grossesses problématiques de dépasser le stade de la fausse couche, sans parvenir pour autant jusqu’au terme. En outre, le développement de la réanimation autorise la survie de prématurés de très petit poids (jusqu’à 500 grammes).

Les effets psycho-affectifs de la naissance avant terme
Il existe deux cas de figure quelque soient les causes de la prématurité :
1. survenue soudaine et imprévue d’un accouchement d’une grossesse jusque là normale
2. accouchement qui vient conclure un développement disharmonieux de la grossesse.
Dans un cas, l’arrachement sans transition à un état de bien-être constitue un choc traumatique qui vient interrompre de manière irrémédiable avant son terme le nécessaire processus de complétude.
Dans l’autre, le processus pathologique qui entrave le cours de la grossesse perturbe la vie du fœtus, au point que sa sortie apparaisse souhaitable pour le libérer d’un environnement qui lui est devenu hostile et toxique.

Du côté des mères
Le plus souvent la mère qui se retrouve, elle aussi, prématurément mère ne sera pas au rendez-vous, elle sera comme empêchée, vivant cette naissance comme un traumatisme sans nom. Cette interruption brutale de grossesse lui donne un sentiment d’irréalité.
Elle doit faire face au choc de cette naissance qui impose la séparation immédiate d’avec son bébé suscitant, le plus souvent, dépression, blessure narcissique et bien évidemment culpabilité. Contrairement à un accouchement à terme, la mère ne peut pas être ressourcée et gratifiée narcissiquement par cette naissance. Il existe un trop grand décalage difficilement élaborable entre le bébé fantasmatique qu’elle a pu rêver et imaginer au long de sa grossesse et la rencontre avec ce bébé réel : fragile, chétif, atone ; rencontre qui est forcément traumatique et la renvoie à l’emprise de la pulsion de mort sur la pulsion de vie dont découlent les angoisses correspondantes.
Dans le cas de la prématurité, vie et mort trop étroitement mêlées se télescopent. La mère happée par le réel, ne peut être rassurée. L’enfant prématuré, empêché par sa faiblesse ne peut venir au secours de sa mère, il la laisse seule face à son angoisse. Il ne peut être au rendez-vous de la réparation.
Tout se passe comme si le bébé était toujours dans son ventre, comme si elle n’avait pas accouché. D’ailleurs, comment se sentir séparé d’un bébé que l’on ne peut pas toucher.


Paradoxalement, ce qui manque dans cette séparation brutale, c’est de la mère manquante. Le double travail dans un service de néonatalogie sera non seulement de rendre le bébé viable, mais de rendre un enfant vivant à la mère qui pourrait l’accueillir comme enfin séparé d’elle. Il faut pour cela que le traumatisme de la naissance puisse se symboliser, qu’il puisse s’inscrire.
Lorsque la naissance précipitée se passe dans la panique et dans l’urgence, lorsque le bébé est réellement en danger, la réalité rejoint le fantasme et le trauma surgit. Comment investir un enfant qu’elle ressent monstrueux et persécuteur, un enfant qui lui signifie son impuissance et son échec ?
L’enfant devient pour elle à son tour dangereux. La prématurité semble propice à fabriquer entre la mère et l’enfant du lien phobique. L’objet persécuteur pouvant être tour à tour elles ou leurs bébés.
Les vitres des couveuses sont autant de miroirs qui ne reflètent rien, les mères ont du mal à regarder un enfant qui ne leur renvoie rien de leur propre image. Le travail avec ces dernières est toujours un travail de deuil, de perte et de séparation. C’est lorsqu’elles peuvent symboliser le manque qu’il leur devient plus facile de décoller l’enfant de l’horreur du réel et de projeter sur lui un avenir possible.
Autre question, celle de la préoccupation maternelle primaire qui, selon Winnicott, se met naturellement en place dans les derniers moments de la grossesse et lui permet de se mettre à la place de son enfant, de s’identifier à lui et de l’investir ainsi que les soins qu’elle lui prodiguera. Le prototype de ces soins étant le holding. Qu’en est-t-il alors de ce dernier lorsque le bébé est placé en unité de soins intensifs ? La suppléance de l’équipe peut-elle suffire ?
Le rôle de l’équipe soignante sera d’amener les mères à penser que, si leur enfant est vivant, elles y sont pour quelque chose. L’hôpital en tant que tiers devra les protéger l’un de l’autre et absorber la violence meurtrière de leurs fantasmes. Le temps de l’hospitalisation, s’il répare le nourrisson, doit permettre à la mère de réparer aussi sa propre image, sinon à la sortie du service, elle sera dans l’incapacité de s’occuper de lui.

Du côté des pères
Quant à la place du père, elle est toujours difficile et déstabilisante. Dans une naissance à terme, c’est la mère qui présente l’enfant au père. Dans ce cas, c’est le père qui introduit le plus souvent l’enfant à la mère, qui l’accompagne aux premières visites, qui lui transmet avec précaution les paroles du médecin. La fonction habituellement « séparatrice » du père est ici inversée, il va tenter de faire se rencontrer au mieux la mère et le bébé.
Ce père se trouvera en l’occurrence désarmé si sa femme éprouve quelques difficultés pour investir ce bébé. Il essaiera plutôt que d’occuper la place de tiers, de rapprocher la mère et l’enfant en s’identifiant à un rôle maternel de substitution. Piégé alors dans une identification maternelle qui lui fait perdre ses repères, il essaie de réparer en « faisant fonction » de mère pour l’enfant et en rivalisant avec elle. Et comme en miroir de sa relation à sa propre mère, il ne supporte pas l’idée que le bébé ne soit pas tout pour l’autre.

Du côté de l’enfant
Le bébé, quant à lui, se retrouve exposé à de multiples agressions physiques, lumineuses et sonores qu’implique la réanimation (intubations, sondages, pose de cathéters, de perfusions). Ces soins nécessitent d’immobiliser le prématuré, avec un ou plusieurs membres attachés, et impossibilité pendant des durées prolongées de se blottir en position fœtale.
Il vit ainsi de longs moments dans le désert, privés de sensations chaleureuses et protectrices, sa mère ne pouvant, par la force des choses, rester auprès de lui que de manière limitée.
C’est comme s’il se retrouvait en proie à une impression de vide minéral, froid. Il manque cette présence charnelle enveloppante, ce qui laisse le corps intérieurement frileux et recroquevillé.
Le prématuré est hypersensible aux stimuli douloureux provoqués par les soins intensifs et il demeure dans l’impossibilité de mettre en place un système de pare-excitation. Il se retrouve privé de contenant tactile, de portage et d’enveloppe, se trouvant en suspens entre la vie et la mort, comme un funambule qui peut à tout moment perdre l’équilibre.
D’après Catherine Mathelin, ces enfants, si petits et si fragiles soient-ils, semblent extrêmement sensibles à la vérité des propos qui leurs sont tenus. Il ne suffit pas de parler à un enfant aussi immature soit-il, encore faut-il lui dire des choses vraies qui sont effectivement le reflet de la souffrance et de l’abandon qu’il subit. 

Ce qui apparaît fondamental de repérer, c’est comment dans presque toutes les histoires de naissance difficile, les relations entre les mères et leur propre mère ont été douloureuses.
Pour Marie-Magdeleine Chatel, "la maternité ne se transmet pas de mère à fille, comme le phallus se passe entre hommes. Une fille ne pourra devenir mère – elle peut toujours enfanter, cela ne dit pas si elle devient mère pour cet enfant – que lorsqu’elle aura traversé le ravage, par une forme d’arrachement, de détachement, sans substitution. Elle doit abandonner l’espoir d’obtenir directement de sa mère l’autorisation d’enfanter".
Mères victimes, empêchées qui ont trop attendu de leur mère l’autorisation d’être mère à leur tour et qui développent, à l’égard de l’enfant encore in utéro, des symptômes de type phobique. Cette peur de l’enfant, nous la retrouverons également exprimée devant l’aspect « repoussant » du prématuré.
Prématurité qui vient déclencher une angoisse phobique chez la mère, ou présence de cette angoisse déjà durant le développement de la vie intra-utérine ? (le fœtus étant alors perçu comme un « allien » dangereux et persécuteur) Dans ce second cas, nous pouvons nous demander si l’expulsion ne serait pas à entendre comme un mécanisme de défense ?

Bibliographie :
Massin C.., Le bébé et l ‘amour, Paris, Aubier, 1997.
Mathelin C., Le sourire de la Joconde, Clinique psychanalytique avec les bébés prématurés, Paris, Denoël, L’espace analytique, 1998.
Chatel M.M., Malaise dans la procréation, Paris, Albin Michel, 1993

 

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