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De la séparation à l’autonomie dans le développement de l’enfant.

Date de publication : 10 Juin 2008

Béatrice Hiltl


A l’origine : la naissance. Elle est d’abord physique, à travers la venue au monde du nouveau-né. Mais une naissance psychique doit également s’accomplir et elle ne peut se faire qu’à travers l’accueil et le lien assuré par l’être humain.
Pendant l’originaire, la relation de l’enfant avec la mère est prédominante de manière évidente, ne serait-ce par les soins qu’elle prodigue. Cette phase est également marquée par l’idéalisation de la mère et de sa présence. C’est le temps de la totalité où la mère et l’enfant ne forment qu’un, un tout indissociable, le temps de l’indifférenciation, de l’absolu qui correspond au vécu d’homogénéité caractéristique de la vie fœtale et par la suite, au vécu de la symbiose spécifique à la relation des premiers mois de la vie (ce que Françoise Dolto nomme la dyade mère-enfant). Le bébé est, on le sait, totalement dépendant de la mère.

 

Le matricide et la fin de l’originaire

La question du matricide est quasiment absente des travaux psychanalytiques. Freud développera longuement celle du parricide, notamment dans « Totem et Tabou », par rapport à la théorie de l’Œdipe et la menace de castration. Toutefois, il reconnaît que la problématique oedipienne ne suffit pas en soi à expliquer et à justifier l’ampleur de l’hostilité qui sera éprouvée par l’enfant à l’encontre de la mère tant par la fille que le garçon. D’où le constat par cet auteur que la nature de ces griefs envers la mère serait due à la nécessité pour l’enfant de se détourner d’elle. C’est en effet parce qu’il est premier et si intense que "l’attachement doit sombrer". Derrière ce détachement nécessaire par rapport à la mère est en jeu la nécessaire question de l’accès à l’autonomie.
Comment se détacher de celle à qui l’on doit tant et dont on dépend toujours ?
Comment arriver à prendre de soi-même une distance psychique suffisante par rapport à elle ?


Progressivement l’enfant va se heurter aux insuffisances et aux limites maternelles et rencontrer ainsi la mère réelle qui va devenir distincte de lui-même.
Du deuxième semestre de la première année jusqu’à la fin de la troisième année, l’enfant grandit et devient de plus en plus capable d’agir, de répondre lui-même à ses besoins. Il sait faire et veut faire. C’est le moment du « moi-tout-seul ». La mère n’a plus alors à tout faire pour l‘enfant. En outre, elle l’oblige de plus en plus à respecter des impératifs et observer toutes sortes de règles. Ceci marque la fin de la liberté constitutive de la relation originaire, la fin de la possibilité de la totalité échangée jusqu’ici avec la mère.
Cela signifie la confrontation à une première séparation nécessaire : la perte de l’originaire.
A travers l’expérimentation répétée des insuffisances, l’enfant va faire le constat que la mère est de moins en moins susceptible de représenter totalement l’originaire. .
Cela marque assez douloureusement l’achèvement de la période symbiotique, par ce qu’on appelle la « crise d’opposition » vers l’âge de deux, trois ans. Rappelons que selon Spitz, l’apparition du non survenant dans le courant de la seconde année permet à l’enfant d’accéder à une complète distinction entre lui-même et l’objet maternel et d’entrer, par conséquent, dans le champ des relations sociales. Cette étape constitue la première acquisition conceptuelle purement abstraite et caractérise l’accès au monde symbolique et à la capacité de manier les symboles.
La perte de cette « mère originaire » est source de souffrance et l’enfant va notamment la garder en pensée. En d’autres termes, c’est la mère toute puissante phallique infantile qu’il va intérioriser et à laquelle il va chercher à s’identifier. Il accède ainsi à une autre forme de totalité qui est le sentiment absolu du Moi qu’il revendique aussitôt.
Il est largement devenu capable d’agir, il est désormais structuré pour. Cela correspond à l’âge ravageur, où les mères voient l’ancien bébé fureter partout, grimper sur tout et se saisir de tout. Au moment de la phase où l’enfant se rebelle, s’entête, désobéit, il ne peut pas faire autrement. Il va s’entêter puisque tout est dans la tête et qu’il a hérité de la phase précédente propre à l’originaire (la période du syncrétisme) l’habitude et le sentiment de l’absolu, de la totalité.


La capacité de rupture : Il faut supporter d’en vouloir à la mère, soutenir de constater en soi des sentiments intolérables. En même temps, il faut savoir prendre le risque de tout perdre.
Ce moment pourrait être celui d’une véritable dépression dans laquelle l’enfant sombrerait s’il n’était protégé par une sorte d’adaptation naturelle, proportionnelle à la qualité de l’Originaire vécue auparavant. Si l’Originaire a été suffisamment puissant et constant, il procure et assure un éprouvé de soi qui permet de résister à la dépression. Il en résulte la capacité de mourir et de faire mourir sans pour cela perdre la vie, la sienne ou celle de l’autre.
En termes Kleiniens, cette étape évoque bien évidemment la capacité d’intégrer l’ambivalence éprouvée à l’égard de l’objet d’amour total tant aimé que hai. La confrontation au vécu des sentiments négatifs étant inévitablement source de culpabilité.

 

La nécessité pour l’enfant de « créer le père »

La santé mentale de l’enfant et ce, dès la vie fœtale, repose sur le fait qu’il puisse s’identifier à deux personnes. Au cours de son évolution, l’enfant peut progressivement parvenir à se percevoir séparé de sa mère, s’il a la possibilité de s’identifier à quelqu’un d’autre qu’elle. Privé de cette identification, il lui sera difficile de penser qu’un jour, il devra quitter sa mère.
L’identification au père est ce qui autorise l’enfant à s’identifier à toutes les autres personnes, chez lesquelles il continuera, après avoir quitté ses parents, à puiser les matériaux nécessaires à son évolution. C’est en ce sens que le père permet d’être un, c’est-à-dire séparé, différent de la mère, et d’être multiple, de pouvoir s’identifier à tous les êtres humains.
C’est en s’identifiant, tour à tour, à l’un et l’autre de ses parents, que l’enfant se construit une personnalité propre. Contrairement à ce que l’on pense comme étant quelque chose de destructeur pour l’évolution de l’enfant, le fait que ses parents ne soient pas toujours d’accord l’oblige à se forger une pensée personnelle. C’est de la confrontation à de la différence et à de la divergence que s’effectuera son cheminement vers l’autonomie.
Il n’est pour autant pas négligeable de souligner que ce processus d’identification demande une certaine réciprocité. Autrement dit, l’adulte doit lui-même être en mesure de s’identifier à l’enfant. Dans le cas d’un refus ou d’un empêchement de la part de l’adulte de s’identifier entièrement à l’enfant, il lui interdit de la sorte, en retour, de pouvoir s’identifier pleinement à lui. Ne pouvant plus aimer totalement ses parents, l’enfant ne peut plus désirer grandir.


Au moment de la reconnaissance de la différence des sexes, vers l’âge de trois ans, il apparaît primordial que l’enfant reçoive une information sur son sexe. C’est le sens que donne Françoise Dolto au concept de castration. Il s’agit d’une information, d’une parole, qui adressée à l’enfant, lui donne l’impulsion qui lui permet de passer à l’étape suivante. Du point de vue du développement de l’enfant, la castration n’est fonctionnelle que si elle est vécue par ce dernier comme une information sur son sexe.
Pour pouvoir atteindre une sexualité normale, affirmait Françoise Dolto, la fille a besoin de comprendre à 3 ans que le vagin sert à accueillir le pénis. Fille ou garçon, c’est l’âge auquel l’enfant pose les premières questions. Ses questions proviennent du besoin de savoir d’où l’on vient et ne visent qu’à dévoiler les mécanismes de la transmission de la vie.
Pour Didier Dumas, c’est la découverte du sexe paternel qui propulse l’enfant dans son évolution. Ainsi, prenant conscience du rôle que jouera à l’âge adulte son propre sexe dans la transmission de la vie, celui-ci peut se détourner spontanément de la sexualité infantile qu’il a connue avec sa mère. Privé des paroles qui lui permettent de comprendre qu’il est sorti du corps de son père, l’enfant ne peut pas savoir ce qu’est un père. Ce n’est qu’à travers les yeux du père, que le garçon peut voir sa mère comme une femme. S’il en est privé, il lui est impossible de la percevoir comme un individu sexué. Et, en retour, il lui sera difficile de se considérer comme un homme. Quant à la fille, si elle ne peut se représenter comment le père fait des enfants à la mère, elle court le risque d’imaginer que ceux-ci se font par simple dédoublement.


La symbolique de séparation due au développement de l’enfant intervient vers un an, au moment où celui-ci prend possession de ses pieds et commence à marcher. Se dressant sur ses jambes, il émerge des identifications animalières. Marchant à quatre pattes, il s’identifiait effectivement aux animaux. Debout, il est comme ses parents. Il s’identifie à eux. Marcher est, à cet âge, l’inscription d’un rapport de propriété à son propre corps : une entreprise qui le soustrait à la mère. Dans les mois qui suivent, avec l’acquisition de la parole, l’enfant s’initie à la puissance des émotions et des sentiments à travers la découverte des mots.
La sexualité oedipienne est l’époque où se construit l’univers des émois sentimentaux que l’adulte retrouvera plus tard en tombant amoureux. Ce qui implique que l’enfant puisse renoncer à la sexualité charnelle (cf. les plaisirs du sein, des câlins, des bisous) qu’il avait connue jusqu’alors dans les bras de sa mère. D’où la proposition de Freud de rajouter au complexe d’Œdipe, le concept de castration.
Un des enjeux de la structuration oedipienne est également de se construire les représentions de son propre devenir. Ce qui signifie : effectuer une véritable intégration du temps et de la notion de futur, découvrir et admettre l’existence de la mort. Ce qui permet à l’enfant de s’inscrire dans la succession des générations. Le père est celui qui permet que le futur soit représentable. Si l’enfant n’a pas la possibilité de s’identifier à quelqu’un d’autre que sa mère, il devient en effet incapable d’évoluer mentalement ailleurs que dans le présent qu’elle lui propose. (Ce qu’expriment un bon nombre d’enfants psychotiques).

Bibliographie :
Delassus J.-M., Le sens de la maternité. Cycle du don et genèse du lien, Paris, Dunod, 2002
Delassus J.-M., Psychanalyse de la naissance, Paris, Dunod, 2005
Dumas D., Et l’enfant créa le père, Paris, Hachette Littérature, 2002
Winnicott D. W., Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975

 

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