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L’avidité

Date de publication : 10 Juin 2008

Béatrice Hiltl

 

Pour la psychanalyse


Nous ne pouvons parler de l’avidité sans nous référer, dans un premier temps, à la notion d’oralité qui s’inscrit comme une étape normale du développement libidinal de l’enfant tel que l’a définit Freud. Durant les premières semaines de la vie, la nutrition joue chez l’enfant le rôle le plus important. L’acte alimentaire tend à symboliser le sein de la mère et le lien primaire que l’enfant construit avec elle. En effet, l’allaitement est l’occasion d’un lien étroit avec la mère à la fois physique et affectif, qui ajoute à la satisfaction du besoin et au plaisir oral diverses autres gratifications. A cette occasion, parviennent également au nourrisson les premiers messages dans lesquels se fera sentir la disposition aimante, hostile ou angoissée de la mère. Enfin, si aimante soit-elle, la mère n’est pas seulement source de gratification mais aussi de privation ; elle ne suscite pas seulement la béatitude de l’assouvissement, mais aussi la souffrance, la déception et la rage, lorsqu’elle tarde à soulager la faim de son enfant. En termes de relation d’objet, rappelons que la mère, du point de vue de l’enfant, n’a jamais donné assez de lait. «Elle a toujours sevré trop tôt » écrit Freud dans son article « Sur la sexualité féminine ».


Quant à Mélanie Klein, elle a toujours attaché une importance fondamentale à la toute première relation d’objet de l’enfant, à savoir : la relation à la mère et au sein maternel. Elle a analysé un aspect particulier de cette relation primordiale, celui de l’envie qui est inhérente à l’avidité orale et qui s’avère en premier lieu dirigée à l’encontre du sein nourricier. La relation à cet objet originel se trouve être investie de fantasmes inconscients, de besoins pulsionnels qui dépassent largement le cadre de la fonction nutritive. Aux prises avec un conflit d’ordre pulsionnel (lutte entre les pulsions de vie et de mort), la vie affective du nourrisson se trouve être caractérisée par la sensation de perdre et de recouvrer le bon objet. Ainsi l’enfant aspire globalement à l’existence d’un sein omniprésent et inépuisable afin de le protéger de son angoisse. Pour cet auteur, l’envie et l’avidité entretiennent des rapports étroits, l’un renvoyant à un mécanisme d’introjection, l’autre à un mécanisme de projection.
L’avidité se traduit par un désir impérieux et insatiable se situant au-delà des besoins du sujet et au-delà des possibilités de l’objet. Au niveau inconscient, cela se caractérise par la recherche de vider, d’épuiser ou de dévorer le sein maternel. Ce qui relève d’un mouvement introjection de type destructeur.


L’envie, elle, renvoie à une attaque du sein maternel, à travers laquelle il s’agit par le biais d’un mouvement projectif d’introduire tout ce qui est mauvais, y compris les parties négatives de soi, en vue de détruire cet objet primordial. Le sein nourricier constitue le premier objet source d’envie pour l’enfant, dans la mesure où à un niveau fantasmatique, celui-ci représente à ses yeux la chose qui possède tout ce qu’il désire. Ce sein est considéré comme une source inépuisable de lait et d’amour. Or, il a aussi la capacité de se préserver pour le compte de sa propre satisfaction. A partir de là, le sein qui est vécu comme privant l’enfant, donc frustrant et avare, devient mauvais et par conséquent, objet de haine. Il existe une interrelation entre l’avidité, l’envie et l’angoisse de persécution s’accompagnant d’un phénomène d’intensification réciproque.
Chaque fois que l’aspect bon de l’objet prédomine, il n’en sera que d’autant plus avidement désiré et incorporé. L’avidité, l’envie, la haine sont inévitablement éprouvés par l’enfant, y compris chez celui aimé et entouré de sollicitude maternelle. Seules les capacités d’amour et de gratitude du nourrisson permettront de surmonter ces états et d’instaurer une relation au bon objet interne. Rappelons que le lien précoce à la mère constitue le modèle de base de toutes les relations ultérieures avec un être aimé.

 

Pour la Sophia-analyse


L’avidité résulte de la présence simultanée de deux opposés : l’horreur du vide et l’intolérance du plein. Le sujet avide ne peut tolérer le plein parce qu’il a besoin de se plaindre de son vide, la plainte lui servant à combler le vide de façon illusoire. Il retire de cette plainte un plaisir sado-masochiste qui lui permet d’agir un projet de vengeance.
A l’origine de ce projet destructeur, il existe une blessure narcissique traumatique dans la vie intra ou post utérine (sujet non désiré, non désiré dans son identité sexuelle, abandon, carence affective précoce…) Autrement dit, le plein dont le Moi fœtal et le Moi infantile auraient dû bénéficier durant les phases prénatales et orales a fait défaut.
Le Moi considère alors qu’il a subi une grave injustice quant à ses besoins physiologiques, psychiques et existentiels provoquant un désir de vengeance. Mais ce projet de vengeance peut tout aussi bien découler de la prétention du Moi à se considérer comme le centre de l’univers qu’il s’agit d’adorer et devant lequel il s’agit de s’incliner.
Cette prétention du Moi ne peut qu’être inévitablement frustrée par la réalité infligeant une blessure intolérable pour l’orgueil du Moi. La blessure narcissique s’amplifie si elle s’ajoute à celle qui frappe l’orgueil. La gravité de la blessure s’accroît avec l’importance de la prétention.
Plus la blessure narcissique qui frappe le Moi est précoce, plus elle est violente et plus le Moi demeure lié au stade où il a été blessé. Il ne reconnaît que sa blessure et ne perçoit ou n’accepte aucune autre réalité. C’est comme si le Moi vivait toujours dans l’utérus, comme si le Moi n’était jamais né. Ainsi, le Moi est perpétuellement à la recherche de ce qui lui a manqué, mais lorsqu’il l’obtient, il le refuse ou le dévalorise.


Rien ne pourra jamais lui rendre cet état initial de plénitude qu’il a désiré sans le vivre parce qu’il n’existait pas. Ce conflit entre la recherche et le refus constitue le fondement de l’avidité de l’homme actuel : ce que la Sophia-analyse appelle un homme qui n’est jamais totalement sorti de l’utérus, qui n’est jamais totalement né en tant que Personne. Le Moi biologique, le Moi corporel et le Moi psychique sont là mais le Moi Personne n’est pas totalement venu au monde.
Un homme avide de reconnaissances parce qu’il n’a pas été reconnu en tant que personne entière et distincte par le Moi qui l’a généré. La quête de succès et de pouvoir constitue alors une tentative illusoire pour combler ce besoin de reconnaissance qui ne parvient jamais à être assouvi. Quant la blessure narcissique traumatique et la prétention s’unissent, l’avidité, l’envie destructrice et le projet de vengeance peuvent atteindre de très hauts sommets. Une personne avide ne cesse de se comparer aux autres et d’affirmer avec rancœur que les autres vont mieux parce qu’ils possèdent ce qui lui manque.
Une personne avide est toujours mécontente de ce qu’elle a et de ce qu’elle est ; elle n’est jamais centrée sur elle-même, elle est toujours ailleurs et jamais entièrement quelque part. Lorsque l’avidité et la soif de pouvoir sont toutes deux présentent chez un homme, celui-ci est rarement satisfait du pouvoir que la vie lui a offert ou qu’il a acquis par lui-même. Il n’en a jamais assez, il en veut toujours plus et tous les moyens pour avoir le pouvoir sur les autres et n’en avoir aucun au-dessus de soi sont justifiés. Le vol, le complot, l’homicide, la calomnie : tout est permis. L’avidité et la soif de pouvoir génèrent l’envie destructrice.
En conclusion, le paradoxe est que la plénitude ne s’acquiert au cours de la vie adulte qu’en entrant dans le vide et en le traversant.
« L’horreur du vide et la plainte du vide ne consentent aucun plein. » A. Mercurio

Bibliographie :
Freud S., La vie sexuelle, Paris, PUF, 1999.
Klein M., Envie et gratitude, Paris, Gallimard, 1978.
Mercurio A., Les lois de la vie, Rome, SUR, 1995.
Mercurio A., La vie comme œuvre d’art et la vie comme don, Rome, SUR, 1995.

 

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