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L'Orgueil, de ses manifestations à ses origines (Colloque Juillet 2007)

Date de publication : 23 Janvier 2011

Florence Maréchal (Colloque Juillet 2007)
 
 
« Ce matin, les interventions que vous avez écoutées, sont certes très intéressantes, cependant je vous invite à mesurer l’immense privilège que je vous fais à vous présenter mon travail » !!! Nous voici au cœur des pensées souvent secrètes de l’orgueilleux…
D’un homme orgueilleux, Dieu dit : « Lui et moi, ne pouvons cohabiter dans le monde »
 
L’orgueil et le narcissisme
 
Le Moi idéal
 
Quel narcissisme outrancier que de se confondre à sa propre image idéale ! Se croire, c’est s’identifier à son Moi-idéal. Il me semble qu’une des phrases-clé du film est celle du jeune moine quand il dit : « Comment a-t-elle pu me faire ça ? ». L’idée d’inspirer à quiconque ou de ressentir pour quiconque une éventuelle pitié est insupportable, plutôt mourir ou tuer. Voilà ce que se dit dramatiquement dans un ultime sursaut, l’orgueilleux. La honte qui en découle, est liée à l’écart entre le Moi et l’Idéal du moi. Stefan Zweig, écrivain autrichien qui a correspondu avec S. Freud, s’est suicidé, bouleversé par la montée du nazisme en Europe. Je vous invite à lire son livre : « La pitié dangereuse ».
 
Le narcissisme se structure comme permanent et intouchable. Tout ce qui arrive est forcément en lien avec nous, il n’y a pas de vie autonome.
 
L’idéal n’est pas extérieur à l’enfant, il est produit par le Moi, l’identification à cet idéal est le Moi idéal. C’est dans cette association que nous trouvons l’enfant tyran. L’unique et le véritable renoncement à réaliser n’est pas seulement celui des pulsions mais celui de l’orgueil théomaniaque. La scène du film où le moine se suicide, illustre de façon magistrale, l’impossibilité de supporter l’échec infligé à cet orgueil. Nous sommes obsédés et persécutés par notre Idéal de perfection.
 
L’Idéal du Moi
 
Pour S. Freud, il est l’héritier du narcissisme primaire, il est une tentative de récupération de la toute-puissance perdue, dans sa fonction positive, il représente l’instance projective de notre identité : le devenir. L’orgueil est lié à l’excitation et au plaisir immédiat. S. Freud nous invite à assumer le complexe d’Œdipe comme fondateur et structurant de notre identité, je vous propose de voir Œdipe comme le fruit de l’orgueil. L’orgueil désigne le fait de désirer plus que ce que la juste mesure du destin nous a attribué. Œdipe est le fruit de la démesure et donc d’un crime contre les Dieux, ses parents ont refusé d’écouter les oracles et se sont placés ainsi au-dessus des dieux.
 
Pour M. Klein, l’idéalisation est la négation de la pulsion de mort donc de l’agressivité ; elle est alors promesse de vie. L’Idéal du moi pousse à la fusion, la mère (son sein) est le premier objet idéalisé par l’enfant comme il est le premier objet persécuteur. La séparation d’avec la mère est insupportable, pour s’en défendre le nourrisson va coller à son Moi narcissique qui devient alors la mère idéalisée, celle qui ne quittera jamais son enfant. Ce processus psychique permet à l’enfant de ne plus se vivre seul et abandonné. C’est une digue afin d’éviter l’effondrement, l’anéantissement qu’une trop grande souffrance pourrait provoquer. L’orgueil est la négation ultime de la dépendance à l’autre, la prise de conscience de cette dépendance est l’entrée dans la position dépressive. Paradoxalement, l’orgueilleux est totalement dépendant de son narcissisme infantile et de la négation de son impuissance.
 
Dans l’orgueil, l’objet idéalisé est le Moi. Un Soi grandiose permet le déni de toute dépendance à l’autre et protège du sentiment d’envie : si j’ai tout, je n’ai pas d’envie. Cette réponse aux angoisses de persécution inhérente à la condition de nourrisson est le lit sur lequel se développe la cruauté morale comme remède qu’emploie l’orgueil blessé pour se soigner.
 
Pour J. Lacan, l’orgueilleux est celui qui érige son Moi en phallus, symbole de complétude. Le stade du miroir, moment où le moi s’aliène à l’image excitante que lui renvoie le miroir, en est la principale origine. Lacan parle de la perception par l’enfant d’une trop grande excitation de la mère qui lui fait découvrir son image. « Mon Dieu, comme tu es beau ! » Cette voix de la mère se met systématiquement en place à chaque rencontre avec l’Autre (dans le miroir). Dialectiquement, l’orgueil dévoile une mise en danger de la personne, celui de ne pas être le phallus.
 
Le paradoxe de l’orgueil est que l’autre doit impérativement exister en tant que témoin de notre supériorité. Pour se sentir Dieu, la présence de « simples humains » est fondamentale, quitte à se retirer de ce monde trop insignifiant. L’orgueil entraîne donc ainsi l’isolement, l’incompréhension et l’arrêt de la construction de nos projets de vie en tant que personnes. Nous sommes tellement dans le besoin, que le message que nous faisons passer, est que justement nous n’avons pas besoin.
« Se croire, tout le problème est là »
 
Hercule Poirot
 
Dans la littérature, Hercule Poirot est une superbe illustration de ce sentiment. Dans l’état du triomphe, ici la réussite d’une enquête, il peut goûter à une jouissance d’orgueil telle qu’elle peut lui donner l’illusion du bonheur. Le sentiment d’être au-dessus des autres nourrit son plaisir, son excitation.
L’orgueil correspond au fait d’attribuer à ses propres mérites des qualités divines. Il rend inévitable la quête de plaisir toujours plus excitant, il est une attaque des plus féroces à la possibilité d’atteindre la joie. La conduite hautaine et grandiose d’Hercule Poirot est une défense contre des traits paranoïaques en lien avec une rage orale. En effet, l’orgueil dévore, avale l’autre tout cru. M. Klein montre bien comment l’envie s’accompagne d’une rage destructrice
 
Il ne supporte pas d’être pris à défaut par rapport aux exigences de son Moi idéal, Il est son Dieu et son tyran, rappelez-vous le suicide du moine. Tout manquement à ces exigences peut entraîner un sentiment de honte nécessitant le renfort de mécanismes de défenses maniaques tel que le mépris, le déni et le triomphe.
 
L’orgueil et le psychanalyste
 
« S’il n’est pas analysé, le désir inconscient qui supporte le souhait de devenir analyste, perturbe le travail analytique. Lorsqu’en particulier, le désir d’aider, soigner, guérir est au cœur du désir de devenir analyste, le risque est grand de voir l’orgueil thérapeutique contre lequel S. Freud mettait déjà en garde les psychanalystes, prendre le pas sur l’analyse elle-même » Nicole Beauchamp.
 
De même, J. Lacan nous prévient du désir névrotique orgueilleux que d’être dans le désir de guérir l’humanité. Le rôle du psychanalyste est celui d’une petite main et non celui du maître qui sait.
 
Il est dans le paradoxe d’avoir besoin que l’autre, le patient, existe tout en refusant son existence séparée.
 
«  Si le patient va mieux, c’est grâce à mon écoute, mon empathie, l’intelligence de mes interprétations. L’échec d’une thérapie est dû aux résistances du patient, à sa haine refoulée, au refus de mon aide… divine, que dire alors quand le patient décide de partir ! ». Je vous laisse la liberté de continuer cette liste. Le psychanalyste orgueilleux se passera par exemple très vite des supervisions, lieu où nous visitons nos limites. Le psychanalyste est là, en supervision, dans une rencontre, une relation, dans une recherche ensemble sans surestimer ni minimiser qui il est et ce qu’il sait.
 
L’orgueil et l’amour propre
 
Nous tentons de devenir des dieux, sans même réussir à être humains.
L’amour propre se définit dans l'acceptation et l’intégration de ses limites donc de sa castration originaire. L’orgueil serait la pathologie de l’estime de soi, c’est un leurre dans le sens où la certitude d’une partie positive n’est pas intégrée. La culpabilité, l’erreur peuvent être assumées en apparence, si les assumer s’inscrit dans la confirmation d’une perfection morale. Le mensonge existentiel de l’orgueilleux peut aussi se cacher derrière un bel habit d’humilité. La capacité de repérer très vite l’endroit qui place au-dessus, est indispensable pour mener à bien un projet d’orgueil. L’exemple que je souhaite donner est en lien avec une des propositions de la Sophia-Analyse. Nous nous proposons de toucher à notre haine et donc à notre vraie culpabilité, l’orgueilleux incorpore le discours, il ne l’intègre pas, il joue avec. Le temps, le chemin nécessaire à l’élaboration sont niés.
 « L’amour déçu pardonne, l’orgueil humilié ne pardonne pas »
 
L’ultime traumatisme

 

L’orgueil cache l’humiliation d’avoir des besoins et des désirs, car qui peut pleinement reconnaître cette ineffaçable dépendance : la scène primitive, véritable traumatisme pour celui que se veut être Dieu. Je vous invite alors à récupérer que nous venons de deux personnes qui ont le temps d’un instant, le temps de l’acte sexuel, renoncé à tout contrôle. Nous venons de ce moment de lâcher prise totale dans la rencontre à l’autre.

 
 
 
 
 
Bibliographie
 
Sigmund Freud, Essais de psychanalyse, Payot, 2004

Robert D. Hinshelwood, Le génie clinique de Mélanie Klein, Payot, 2001

Michel Dethy, Introduction à la psychanalyse de Lacan, Chronique sociale, 2003

Otto Kernberg, La personnalité narcissique, Dunod, 1997

Stefan Zweig, La pitié dangereuse, Grasset, 1939

Antonio Mercurio, La vie comme œuvre d’art, S.U.R, 1988

 

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