Propositions théoriques | Colloques | Du Besoin psychique au Désir de l'Autre (Colloque Juillet 2007)

Du Besoin psychique au Désir de l'Autre (Colloque Juillet 2007)

Date de publication : 23 Janvier 2011

Florence Maréchal et Catherine Comte-Bellemin (Séminaire 2007)
 
1. Introduction
 
Notre propos, ce matin, s’étaye sur le sentiment qui nous a habité en travaillant ce film. La confusion entre la notion de besoin et celle de désir nous semble clairement illustrée par le passage à l’acte meurtrier du jeune moine que ce film nous donne à voir, car le désir s’appuie sur le besoin. Le désir amoureux que ressent le jeune moine, va se transformer en besoin de possession et c’est ce mouvement psychique qui objectivise l’autre et qui aboutit à la destruction de l’autre en tant que personne. L’amour passionnel, le besoin pulsionnel s’inscrivent dans le fantasme d’un retour dans l’utérus maternel, l’autre n’a pas de réalité propre.
Le désir est à entendre sur le mode de l’être, le besoin sur le mode de l’avoir.
 
Nous vous proposons dans l’exemple suivant de sentir la différence entre avoir de la haine et être dans la haine, afin de commencer l’approche de ces notions de besoin et de désir. Ce film illustre les deux sentiments de culpabilité qui nous habitent et qui sont inhérents à la réalisation de nos besoins psychiques.
 
La fausse culpabilité et ses réparations maniaques se donnent à voir dans la scène où le jeune homme est attaché et battu. Le corps comme siège des pulsions est attaqué sans aucune autre élaboration, ne dit-on pas : «  avoir le diable au corps ». La « faute » est exorcisée, annulée par une réponse violente immédiate. « A y’est !!!, C’est réparé ! » Nous vous proposons de voir le triomphe de la haine, de la pulsion de mort, qui abîme le premier lieu de nos vies : notre corps. Nos corps nous rappellent nos limites, crime de lèse-majesté pour notre besoin de se prendre pour Dieu tout-puissant, détruire notre corps permet la satisfaction de notre haine refoulée.
 
La vraie culpabilité, concept sophia-analytique, intervient lorsque le moine prend conscience que c’est lui qui a ouvert la glace entraînant ainsi la mort de la femme à la fin du film. Cette prise de conscience le renvoie à son précédent passage à l’acte lorsqu’il a tué sa femme. Son alibi d’homme trompé, ne peut plus tenir. Il sort de son rôle de victime et prend la mesure que tout geste a ses conséquences. Tout le poids de sa vraie culpabilité est symbolisé par la statue qu’il porte péniblement en haut de la colline.
 
Dans un premier temps, nous sommes allées chercher auprès de S. Freud, M. Klein, J. Lacan et F. Dolto ce que la psychanalyse nous dit du désir et du besoin. Le besoin y est lié au monde pulsionnel et physiologique alors que le désir apparaît comme une construction psychique. La notion sophia-analytique de besoin psychique correspondrait pour la psychanalyse à la perversion du désir devenu besoin, l’excitation de la satisfaction se confondant avec le désir. La seconde partie de notre travail vous propose une tentative d’élaboration de nos discussions, nos réflexions sur le thème du besoin et du désir.
 
2. Le besoin
 
Le dictionnaire définit le besoin comme la sensation qui porte les êtres humains à certains actes qui leur sont ou leur paraissent nécessaires.
Pour S. Freud, les besoins sont en prise directe avec les pulsions d’auto-conservation. Le besoin trouve sa satisfaction dans des objets adéquats et réels comme par exemple la nourriture, le besoin est lié au biologique. Le besoin vise donc un objet spécifique et s’en satisfait.
Pour F. Dolto, le besoin n’est pas ce qui signe l’humain, il se rapporte à la vie physiologique et aux soins maternels. Ils doivent cependant être satisfaits pour permettre le développement du Moi de l’enfant.
 
 
2.2 Le besoin en Sophia-Analyse
Le Moi corporel
Le corps exprime son besoin de relation physique, affective et sexuelle. Le corps n’a pas besoin d’exclure le rival, il n’est pas le siège des passions. Notre corps nous dit notre vérité, ce sont nos interprétations du langage du corps qui sont souvent fausses. Retrouver notre monde émotionnel permet à la fois de changer notre communication interne dans le but d’arrêter de détruire le corps et de se réapproprier sa sagesse. Par exemple, notre corps a besoin de contact physique avec la mère, ce n’est pas lui qui est jaloux du père, c’est notre psyché.
 
Le Moi psychique
Le moi psychique est lui régi par le principe de plaisir. Il est soumis au principe de possession et d’avoir. Nous parlons alors de besoins psychiques, besoins qui ne tolèrent aucune frustration. Le narcissisme est le maître des lieux, le moi psychique en est son esclave. Nous sommes ici dans le royaume de l’absolu nécessité.
 
 
3. Le désir
 
Le dictionnaire définit le besoin comme la tendance particulière à vouloir obtenir quelque chose pour satisfaire un besoin, une envie. Il correspond à toutes formes de mouvement en direction d’un objet dont l’âme et le corps subissent l’attrait spirituel ou sexuel.
 

3.2 Sigmund Freud

 

Le désir est avant tout inconscient. C’est dans le rêve comme accomplissement d’un désir refoulé que nous trouvons la définition freudienne de ce concept. Le rêve est la reproduction hallucinatoire d’anciennes perceptions. Le désir est donc lié à des traces mnésiques, à des souvenirs de l’expérience de satisfaction. Il s’accomplit dans la reproduction à la fois inconsciente et hallucinatoire des perceptions devenues signes de satisfaction. Le désir a toujours la sexualité pour enjeu.
Il est important d’articuler l’émergence du désir en tant que distinct du seul besoin de décharge avec l’autonomisation progressive des pulsions sexuelles par rapport aux autres pulsions qui lui servent initialement de tuteur. Cependant la démarcation entre besoin et désir dans la pensée freudienne est assez floue, le monde pulsionnel est au cœur de sa théorie, le corps en étant la source. Le désir dans le rêve freudien est l’expression du refus de « l’au-delà du principe de plaisir » avec l’éternel retour du même (compulsion de répétition).
Loi et désir forment un nœud bien étroit, dans la mesure où la psychanalyse nous déclare que le désir fondamental est le désir incestueux (totem et tabou). La psychanalyse s’intéresse à la nature du désir et à l’effet d’amour narcissique qu’il produit.
 
3.3 Mélanie Klein
 
Dès la naissance, le nourrisson opère un clivage de l’objet, l’idéalisation est nécessaire afin de lutter contre des angoisses persécutrices.
Le besoin est lié à l’objet partiel alors que le désir se porte sur l’objet total. Le désir fait donc apparaître l’autre en tant que personne contrairement au besoin où l’autre n’existe pas. Le désir est marqué par le sceau du fantasme et la dynamique de l’imaginaire. M. Klein met l’activité symbolique sur le compte de l’écart entre le désir et la satisfaction obtenue dans la réalité. La fuite éperdue dans le désir (encore et encore) est à comprendre par le constat clinique qu’une personne réelle est toujours trop réelle pour être bonne. L’objet réel sera toujours inadéquat au désir, d’où la recherche sans fin de la satisfaction du désir. M. Klein nous apprend le passage capital entre une position paranoïaque où notre haine est projetée sur l’autre et là où quelque part nous restons innocents, et la position dépressive où nous récupérons les conséquences denotre haine et reconnaissons notre responsabilité. Cette élaboration permet la différenciation entre le besoin et le désir. Derrière tout désir se cache le fantasme de la scène primaire.
 
3.4 Jacques Lacan
 
La notion de désir prend une place centrale dans l’œuvre de J. Lacan, il met en lien la différence entre le désir, le besoin et la demande.
Le désir doit passer par un autre nous dit Lacan. Il parle du désir, du désir de l’autre. Lenourrisson ne sait rien de ses désirs, il essaie juste de comprendre le désir de l’autre et de s’y conformer pour être aimé. Avant le déclin de l’Oedipe, le désir est extérieur, hors de, après il est intérieur. Le désir naît de l’écart entre la demande qui est toujours demande d’amour et le besoin. Il est lié au fantasme et s’inscrit dans son absolu en dehors de toute réalisation. L’Idéal du moi pour Lacan se met en place avec l’intervention du père comme empêcheur de plaisir. La libido et le besoin de jouissance vont alors se déplacer vers une nouvelle cible par le mécanisme de sublimation. Le désir passe alors par le filtre de la réalité, la fonction paternelle se définit par l’accès au symbolique.
Le désir est produit de notre imaginaire, l’objet du désir est vrai. L’imaginaire étant pour Lacan, l’expression des illusions aliénantes dans lesquelles le Moi est prisonnier. En effet, nous nous imaginons que l’autre possède non seulement les moyens de répondre à nos désirs, mais en plus, il les connaît.
 
 
3.5 Françoise Dolto
 
Vivre, c’est désirer. Le désir est avant tout langage, il se différencie du besoin car n’est satisfait par aucun objet. Le désir est un appel à la communication et surtout ne s’étaye pas sur le besoin. Le désir est insatiable contrairement aux besoins. Le désir est tension car il vise à…   F. Dolto affirme que trop de plaisir, trop de jouissance tendent à rabattre le désir sur le besoin et à mutiler la créativité. Notre avidité et notre addiction pervertissent nos désirs en les transformant en besoins psychiques C’est l’interdit qui révèle à l’enfant la force de son désir tout en l’humanisant. La vie comme le désir est changement et mouvement. Dans ses premières saisons d’existence, l’enfant ne sait encore rien de ses désirs, il essaie de comprendre ce qu’il doit faire pour être conforme aux désirs de l’autre. Il crée son univers intérieur à partir de ce qu’il imagine comprendre des actes et paroles de son entourage. Il croit toujours que les émotions manifestées par ses parents le concernent. Il est par contre en contact permanent avec ses besoins. Le désir est renouvelable, inassouvissable comme les fonctions de faim et de soif. Le désir est une réponse à un manque, c’est une pulsion vitale dont le but est de soigner une douleur.
La douleur est celle de notre solitude liée à l’arrachage à la matrice mère et terre.
 
 
4. Droit et exigence
 
Nous avons tous en nous, un petit enfant tyran tout-puissant.
La satisfaction sans restriction de tous nos désirs et de tous nos besoins ne contribue pas au bonheur, ni même au plaisir. La Sophia-Analyse nous invite à voir que nous sommes tous des voleurs pour pouvoir nous approprier notre vie. Vivre est un droit dans le sens où, que nous ayons été désirés ou pas, nous sommes en vie. Nos besoins psychiques transforment ce droit en exigence, manifestation de notre haine refoulée et de notre avidité. Assumer cette haine nous donne la possibilité de nous servir de son énergie pour décider de nous approprier notre vie comme un don. Alchimie entre la reconnaissance du don de vie que nos parents nous ont fait et la reconnaissance du don que nous nous faisons en prenant une part active dans la vie.

La névrose serait pour Lacan de subir et d’exiger l’amour plutôt que de s’y impliquer. L’amour quand il n’est pas don actif de soi-même est une passion imaginaire et narcissique. « Etre aimé est une exigence effrayante, c’est emmener l’autre que, soi-disant on aime, à sa suite, le convertir, le changer et l’asservir dans notre propre fantasme imaginaire ». La Sophia-Analyse nous invite à la suite de Lacan à récupérer nos projections dans le couple et sur l’autre.

Le désir ultime est péché d’orgueil : le Moi-idéal, c’est-à-dire la volonté d’égaler Dieu.

 
 
5. Désirer et souhaiter
 
Le désir ne connaît que sa propre logique imaginaire alors que le souhait tient compte de nos divers attachements et de l’estime que nous nous portons à nous-mêmes. Aucun désir n’est pathologique en soi, c’est la réalisation de certains qui est en revanche interdite. Tout enfant désire posséder le parent du sexe opposé et se débarrasser de celui du même sexe, pour autant il ne souhaite pas que cela arrive pour de vrai. Dans ce terme « souhaiter », nous retrouvons les concepts lacaniens de symbolisme, doltoïens de castrations symboligènes et kleiniens de position dépressive. Nous pouvons aussi y retrouver les notions de Réel, Symbolique et Imaginaire développées par Lacan. Le souhaitable serait le triomphe du Réel, entraîné par le Symbolique (le langage) détrônant l’Imaginaire où tout est possible. Serge Tisseron nous propose d’entendre le désir et d’écouter le souhait. Il donne l’exemple du désir entre adultes qui, même s’il est partagé, ne suffit pas à lui seul à justifier l’acte sexuel, il y faut le consentement.
 
 
6. La peur du désir
 
Pour S. Freud, cette peur est liée au fantasme incestueux. Il nous semble utile de nous rappeler que ce désir s’étaye sur un fantasme de meurtre d’un des deux parents. Vous connaissez tous Œdipe ??? Le refoulement et l’inhibition de nos désirs, ainsi que la régression, sont des mécanismes de défenses érigés face à cette peur, liée au fantasme meurtrier.
Pour M. Klein, la peur du désir est liée aux états maniaques. En effet, dans le désir, nous nous donnons à voir à l’autre. Cette ouverture vers l’autre peut nous rappeler une position de dépendance insupportable pour notre toute-puissance et notre besoin de contrôle.
Nommer son désir peut réveiller la peur que l’autre prenne le pouvoir sur nous et fasse de nous un objet que l’on utilise ou que l’on jette. Là, nous restons dans le monde du besoin et n’allons pas vers celui du désir.
 
 
7. Imagination et créativité
 
Le désir est l’expression de notre créativité.
Notre créativité est allée au bout du désir de vous présenter notre travail, en élaborant la colère qui nous a habitées en tant que femmes en regardant ce film. Nous avons souhaité aller au-delà d’une représentation destructrice du désir amoureux où les hommes et les femmes sont dans l’impossibilité de faire autrement que de se détruire. En sortant l’autre du rôle d’objet persécuteur, nous lui rendons son identité, l’autre apparaît en tant que Personne. En contactant notre vraie culpabilité et toute notre douleur, nous retrouvons notre humanité, sans la peur ni la haine de notre désir.
La rencontre à l’autre est possible dans le désir si celui-ci est désir de communication avec l’autre en tant que personne.
 
 
 
Bibliographie 

Sigmund Freud, L’interprétation des rêves, Bréal, 2001

Sigmund Freud, Totem et tabou, Payot, 2004

Mélanie Klein et Joan Rivière, L’amour et la haine, Payot, 2001

Mélanie Klein, Envie et gratitude, Gallimard, 1978

Robert D. Hinshelwood, Le génie clinique de Mélanie Klein, Payot, 2001

Donald W. Winnicott, Jeu et réalité, Gallimard, 2002

Joël Dor, Introduction à la lecture de Lacan, Denoël, 2002

Willy Barral, Françoise Dolto, c’est la parole qui fait vivre. Une théorie corporelle du langage, Gallimard, 1999

Erich Fromm,  Avoir ou être ?, Ed. R. Laffont, 1978

Daniel Sibony, La haine du désir, Ed. Christian Bourgois, 1994

Antonio Mercurio, La vie comme œuvre d’art, Ed. de laSophia-University of Rome, 1988

 

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