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Mutilation et Castration (Colloque Juillet 2008)
Date de publication : 23 Janvier 2011
Mutilation et Castration
La violence, c’est d’aller contre la dignité humaine
La liste des lois préconisant la mutilation comme punition est trop longue pour en faire une simple introduction dans le cadre de cette intervention. M’appuyant entre autres sur deux exemples : couper la main des voleurs ou trépaner les fous, je vous propose de voir que la mutilation fait partie de l’univers de la faute. La castration, lorsqu’elle est symbolique, rencontre une compagne de route : la sublimation. Leur union s’inscrit dans l’univers de la vie comme œuvre d’art. Je développerai plus loin cette notion.
Afin de poursuivre mon sujet, je vous invite à une gymnastique intellectuelle que nous connaissons tous, celle d’assumer que le psychisme, la vie psychique, est pour nous un fait réel.
La castration signifie dans le langage courant la destruction, la mutilation des glandes génitales dont la visée est la suppression des besoins sexuels et des comportements concomitants. La castration réelle vise, par l’ablation des testicules ou des ovaires, à la stérilisation de la personne non seulement physique mais psychique. Devant nos incapacités, nos inhibitions face à la créativité, nous sommes tous en souffrance, nous nous sentons mutilés.
Pour retrouver nos origines psychanalytiques, ma réflexion de départ s’appuie sur une des pierres angulaires de la théorie freudienne : les femmes sont des hommes châtrés.
L’existence des castrats et l’expansion de ce phénomène durant la période Baroque de notre histoire n’en est-il pas l’illustration ? Cependant, il est important de savoir que pour avoir cette voix féminine spécifique aux castrats, le jeune garçon subissait une opération (elle devait avoir lieu avant la puberté) qui consistait à enlever ou à écraser les testicules de celui-ci et non à lui couper le pénis.
De même, la clinique nous apprend qu’une des séductions pathologiques du petit garçon envers sa mère est de lui attribuer, pour la séduire, son atout le plus narcissique. Je me souviens d’un jeune homme qui m’avait dit au début de sa thérapie: “Votre voiture est magnifique. J’aime ce rouge”. Je n’ai bien évidemment rien répondu mais à la fin de la séance, j’ai vu par la fenêtre de mon cabinet qu’une superbe Ferrari était garée juste là.
Dans son fantasme, elle ne pouvait être qu’à moi. Est-ce utile d’ajouter qu’il n’y avait aucune réalité, en fait juste celle de me doter d’un superbe phallus et de me narcissiser.
Freud ne pouvait concevoir que la femme soit la principale cause des peurs psychiques. En érigeant comme absolu le complexe d’Œdipe et l’envie du pénis, il nous propose une humanité dont le développement psychique est fondé sur la haine du père. Mélanie Klein écorne cette approche en théorisant sur l’envie du sein, donc sur la haine de la mère.
Pour Françoise Dolto, le premier phallus serait le mamelon perfusant. J’aime cette idée dans le sens où elle est une tentative de réunification du principe masculin et féminin propre à chaque être humain. La castration réelle, donc la mutilation, exprime le fait que l’on nous refuse le droit à notre identité et au génie de notre sexe, dans le sens de pulsion de vie. La castration symboligène nous permet de donner un sens à notre sexualité et de nous inscrire dans un projet de vie.
Dans la réalité de l’Histoire même, nous sommes amenés à constater les dégâts et les pourquoi des différentes mutilations dont la Personne a été l’objet. Nous ignorons encore l’origine exacte de ces pratiques qui remontent à l’Antiquité.
En effet, si le garçon dans certaines pratiques est confronté à l’émasculation, par exemple lors de la traite orientale, le pendant chez la fille est l’excision ou l’infibulation qui se pratique toujours. L’esclavage bien que prenant des modalités différentes persiste également. Derrière ces mutilations, nous trouvons la volonté de soumettre l’autre, de nier son humanité, sa sexualité.
Mon parti pris est de vous inviter à voir comment notre partie féminine est infibulée et notre partie masculine castrée. Mon désir est de nous aider à voir et à décider de sortir de la violence de nos exigences narcissiques énoncées en loi alors qu’elles ne sont que mutilations infligées à l’autre et à soi-même.
Bien sûr que ces violences, nous les avons aussi subies. Cependant, la psychanalyse nous apprend l’identification à l’agresseur et la sophia-analyse nous parle de projet de vengeance et de mensonge existentiel.
Une jeune femme qui vient me voir depuis trois ans arrive à une séance très angoissée. Elle a peur de perdre l’usage de ses bras, ce qui est d’autant plus dramatique qu’elle travaille dans la relaxation par le massage. Elle m’explique que le soir, juste avant de s’endormir, ses bras disparaissent, qu’ils n’existent plus. Le souvenir d’être restée des heures entières, assise seule au milieu d’une grande pièce lui permet de retrouver son besoin d’être prise dans les bras et de ne pas pouvoir porter sa mère dépressive. Pendant plusieurs mois, ce symptôme disparaît. Elle revient un jour de nouveau, très angoissée ; ses bras semblent avoir disparu et elle ne peut plus les voir. Mon intuition est alors de la frustrer, ce que je fais en arrêtant la séance cinq minutes avant l’heure. A la séance suivante, elle arrive avec la sensation de perdre aussi sa bouche. Je lui demande ce que ses bras veulent faire et ce que sa bouche veut dire. Sans réfléchir, elle me répond : “Vous étrangler en hurlant ma rage et vous clouer sur place”. Ses symptômes ont aujourd’hui disparu. J’ai l’idée qu’ils réapparaîtront, peut-être, quand son Moi Personne sera suffisamment renforcé pour assumer la castration symboligène de sa haine, en ce qu’elle détruit ce qui la construit.
Si la loi est persécutrice, c’est qu’il n’y a pas de loi, mais un principe de plaisir érigé et travesti en loi. Pour M. Klein, nous naissons tous paranoïaques. Il est important alors de rappeler qu’un des dangers pour le paranoïaque, c’est d’être fécond. La loi libère le désir là où il a le droit de se développer, elle nous rappelle qu’il existe des critères par lesquels nous devons limiter notre monde pulsionnel. La loi nous empêche d’aller dans tous les sens sans rien produire.
Pour S. Freud et la psychanalyse, le terme sexuel ne désigne pas uniquement l’acte génital, il englobe tout ce qui a trait à l’activité hédonique, à la recherche du plaisir. Freud nous plonge dans le paradoxe que la castration a à la fois une valeur structurante et une valeur pathogène. L’acceptation de la castration (son angoisse ou son complexe) permet la résolution de l’Œdipe alors qu’elle intervient par un adulte menaçant, renforçant ainsi les effets de la peur, de la terreur.
L’angoisse de castration freudienne confine le désir dans la peur et la culpabilité. F. Dolto fait de cet adulte un interdicteur qui indique la marque du processus d’humanisation, libérant le désir en lui donnant une valeur d’allant-devenant.
L’adulte de S. Freud menace, le désir est en conséquence abordé sur un mode coupable alors que l’adulte de F. Dolto délivre un interdit structurant, son dernier message étant : “N’ayez pas peur”.
Pour F. Dolto, l’absence de castration produit de la psychose ; si par ailleurs, les castrations ne sont pas symboligènes, elles deviennent mutilantes, touchant le sujet dans son allant-devenant en conformité de la loi de tous. Les castrations sont symboligènes quand elles sont faites au nom de cet être humain qu’est l’enfant et non pour satisfaire son propre narcissisme qui veut être le maître de l’autre.
La mère mutilante est, par exemple, celle qui s’oppose à l’affirmation extérieure corporelle de son enfant. Ainsi le garçon habillé en fille par sa mère entend : “Je t’aimerai si tu n’as pas de visibilité virile”. Je pense que chacun d’entre nous peut ajouter un nouvel exemple des violences reçues… et de celles rendues.
Rester en questionnement sur son comportement, ses agirs, ses émotions, c’est déjà un rappel à la loi.
Dans son omnipotence, l’enfant veut vivre son envie à l’état brut, la frustration nécessaire à son devenir vise à interdire son désir d’exclusivité. Nous ne pouvons faire tout et n’importe quoi. Pour l’orgueil de l’enfant, accepter et respecter tout tiers séparateur signifie être castré. La psychanalyse nous révèle que séparer les parents ou les combiner signifie pour l’inconscient : tuer le père.
L’angoisse de castration a pour point de départ une interprétation fausse de la réalité, le principe de plaisir étant maître des lieux et donc seul interprète. L’enfant ne peut y échapper du fait que le danger qu’il invente est motivé par la force magique qu’il prête aux adultes et par son infériorité vraie à leur égard. Le mode de pensée de l’enfant est sous le signe de la magie.
Devenu adulte, souvent l’homme retient la punition, la castration donnée par le père pour ne pas assumer une autre peur qui est plus anti-narcissique, celle d’avoir eu un pénis trop petit devant la “grande mère” qu’il a toujours devant lui. De même pour la petite fille qui a un vagin trop petit devant le “grand père” qu’elle a toujours devant elle. F. Dolto explique en partie les fantasmes ou les angoisses de viol, les sentiments d’humiliation et de honte par les conséquences de ces blessures narcissiques refoulées.
Néanmoins, apprendre à respecter la loi permet de sortir de la primauté et de la domination du besoin psychique intra-utérin. La castration symboligène crée une brèche dans la fusion. C’est ce qui fait entrer dans le monde du symbole. La mère comme le père incarne alors le tiers séparateur dans le sens où ils ont eux-mêmes intégrés les interdits qu’ils donnent.
F. Dolto affirme que la castration oedipienne équivaut à intégrer la mort sexuelle à la famille et dans la famille et de s’accepter veuf ou veuve de sa mère et de son père. La castration est une épreuve réelle, narcissique et interrelationnelle.
Nos premières histoires d’amour, celles concernant notre mère et notre père, sont destinées à ne pas se réaliser totalement et éternellement. Il y aura toujours une tâche qui appartient à l’enfant, et que les parents ne peuvent pas lui épargner, c’est le fait d’accepter la séparation.
Le désir est tout de suite confronté à la castration, et paradoxalement, c’est à travers la castration que nous pouvons conquérir notre sexualité.
Si nous ne nous réconcilions pas avec notre histoire, de par les frustrations que la vie nous apporte, nous risquons de transformer des castrations symboligènes en mutilations et d’infliger des mutilations comme castrations symboligènes.
Quand le narcissisme domine notre monde psychique, le mécanisme de défense dont nous usons le plus pour fuir la dépression est la contre-vérité psychique. Quoi qu’il se passe, la contre-vérité psychique donne toujours l’impression d’avoir raison, son soutien le plus efficace se trouvant dans les défenses maniaques. Les défenses maniaques visent au déni de l’inconscient.
Je pense que nous avons tous eu l’occasion de faire de belles analyses dites “sauvages”, c’est-à-dire hors du cadre protégé du cabinet du thérapeute. Nous savons tous parler du psychisme de l’autre en oubliant que nous en avons un. Ce concept développé par René Kaës exprime une néo-réalité jaillissant de la destruction de l’univers paternel.
Le père n’est pas le créateur de la Loi, mais son représentant. La mutilation maintient l’idée de l’idéal narcissique censé protéger du doute et de l’imperfection.
La castration symbolique ouvre le chemin qui va de l’amour idéal à l’amour réel dans l’acceptation de ce qu’il a de partiel et de limité. Le fait d’accepter et d’assumer celle-ci nous donne une âme en nous permettant de faire le passage d’une vie de sauvage (la horde primitive comme royaume de la mutilation) à une vie humaine.
Je souhaite finir ma présentation en vous citant un écrit d’Antonio Mercurio pour illustrer ce passage vers la possibilité d’entrer dans les lois de la vie :
“A chaque fois que j’ai rencontré un ennemi, je l’ai regardé bien en face et je me suis d’abord vu ; ensuite j’ai rencontré le Soi.”
La sophia-analyse nous invite à aller à la rencontre de notre Soi et de l’écouter, il est l’instance dans notre métapsychologie qui suit le principe de joie et les lois de la vie.
Françoise Dolto (1984), L’image inconsciente du corps, Essais, 2000
Sigmund Freud (1912-1913), Totem et tabou, Payot, 2001
Mélanie Klein (1932), La psychanalyse des enfants, Puf, 2009
O. Nicolle et R. Kaës (2008), L’institution en héritage, Dunod
Antonio Mercurio (2005), Il mito d’ulisse e la bellezza seconda, SUR, Rome