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Printemps, été, automne hiver...et printemps, un film de Kim Ki Duk : Cruauté et expiation ?

Date de publication : 25 Aôut 2008

Hervé Etienne


Kim Ki-Duk épousa le bouddhisme à un moment de sa vie. C’est lui-même qui interprète le moine à la fin du film. La présence des animaux dans le film, qui font partie de la roue, en témoigne. Ce film propose une analogie entre le rythme des saisons et la vie d’un moine. Chaque saison représente une des étapes de la vie et une des appréhensions de la réalité et de la spiritualité. On peut rapprocher ce cycle du symbolisme de la roue chez les bouddhistes.
Le printemps (le chien puis la tortue) symbolise le monde de l’enfance : le contact avec les pulsions archaïques. En agissant ses pulsions sadiques, l’enfant va donner la mort à deux animaux (le serpent et le poisson). L’enfant devra faire le sacrifice de son innocence et apprendre la compassion. Le maître lui fera éprouver ce que ces animaux ont enduré en lui attachant une pierre. Il apprend à expier.
L’été (le coq) est marqué par l’éveil des sens et de la pulsion sexuelle. La quête de guérison de la jeune fille et la naissance du sentiment amoureux sont associées. Ce sentiment provoquera la rupture du moine avec son maître et le conduira au meurtre. Le sentiment amoureux va engendrer le désir de posséder pour soi l’objet d’amour tout entier.
L’automne (le chat), la loi de cause à effet, la loi du karma est inévitable. On ne peut pas échapper à son destin. Plein de rage, il revient au monastère, la culpabilité l’écrase et il est confronté à ses pulsions autodestructrices. Le moine va graver sur le plancher du monastère un sutra d’apaisement de l’âme. Toute l’intensité du travail a pour but d’apaiser les tourments qui l’occupent. Les policiers qui sont venus l’arrêter l’aideront dans sa tâche. Le moine retournera dans le monde des hommes pour accomplir sa peine. Nouvelle expiation.
L’hiver (le serpent) est le moment de la maturité, le moine confronté à sa propre solitude va réparer le temple et lui redonner les rituels et la sérénité pour le faire revivre. C’est le moment de la réparation.

Chaque saison symbolise les différents moments de la vie. Le printemps représente l’enfance qui est aussi le moment de l’ignorance. Le premier des poisons de notre vie nous confine dans l’illusion que notre ressenti et nos fantasmes sont la vérité. Mais c’est aussi le moment de la construction de notre narcissisme et le moment où la violence appartient au domaine du jeu. La haine et la destructivité n’animent pas le jeune moine quand il joue avec les animaux ; la mort de ceux-ci n’est point de sa faute mais l’œuvre de la fatalité. Le maître l’éveillera à sa responsabilité.
L’été ou l’adolescence correspond à l’émergence du désir qui devient pulsion d’emprise et transforme la personne aimée en objet. Si ce dernier veut nous échapper, on le détruit. La pulsion meurtrière domine. La vision que nous propose le film peut créer une confusion entre deux dynamiques : celle du désir et celle de l’excitation. Cette dernière est du côté de la satisfaction immédiate, de la possession, donc du besoin.
L’émergence du désir sexuel exprime le désir d’indépendance et d’autonomie du jeune moine, il se révolte contre le maître ; la révolte le noiera dans la recherche de satisfaction de son besoin. Il quittera le temple pour le monde réel. Il y a opposition entre l’univers spirituel de l’être et le monde réel de l’avoir. (cf. « Avoir ou être ?» de Fromm).
L’automne est le moment de la haine, meurtrière et suicidaire. La rage est l’aveuglement existentiel qui nous masque la douleur. C’est l’âge adulte, la capacité à agir sa violence et à se venger. Il tue parce que cette femme le trompe, il agit une violence compensatoire, il se venge de la vie et de ce qu’elle lui refuse.
Le dernier moyen d’exercer son emprise et son contrôle sur l’objet qui lui échappe est de le supprimer. Le garder pour l’éternité. Incapable de créer, il détruit. Il devra apprendre le partage et le don pour toucher à sa capacité à aimer.
Dans l’orgueil : les prétentions de notre Moi idéal se substituent à notre Idéal du moi. Rien ne doit nous résister sinon on reste blessé : seul le travail sur les sutras pour apaiser l’âme calmeront le moine.
Dans l’avidité : notre blessure identitaire, dans le film sans doute l’abandon, engendre une faim que rien ne pourra assouvir. Il ne nous reste plus que l’expiation.
Kim Ki-Duk est un cinéaste de la cruauté. Pour lui, la réalité est source de nos blessures et de nos traumatismes. La volonté de dominer n’est pas le désir de faire souffrir l’autre, mais le besoin de l’asservir. Cette pulsion d’emprise est externe et interne : la passion nous asservit en prenant possession de notre personne.
Pour l’adolescent le monde extérieur est symbolisé par le féminin, objet du désir et de la convoitise de l’homme. Dans le film, la femme est à la fois un être pur (la jeune fille) et l’objet de toutes les tentations. Elle est aussi victime de l’égoïsme et de la folie de l’homme. La pierre que le héros porte depuis son enfance symbolise le poids du karma dont la personne n’arrive pas à se défaire.

Ces poisons : réalité psychique prise pour la réalité, rage, orgueil, avidité, emprise, ne nous poussent-ils pas à l’expiation ?
Expiation et mortification sont les deux piliers de la solution masochiste qui occupe le propos du film. L’expiation appartient au monde réel et la mortification à l’univers spirituel, celui qui est derrière la porte. La mort du moine, qui s’immole dans sa barque, est l’apogée de cette dynamique mortifiante. Les cinq poisons qui transforment notre vie en tragédie détruisent sans arrêt l’équilibre des deux univers. Chacun de nous a la possibilité d’en faire l’exploration en lui-même afin de les en extraire. La solution existentielle que le film nous propose est de nous en défaire quelle que soit la forme que ses poisons prennent dans notre vie. C’est en s’en dégageant qu’on peut accepter la réalité de notre histoire telle qu’elle a été, y compris dans ce qu’elle a eu de plus cruel.


La spiritualité bouddhique affirme que l’homme doit se défaire de ses illusions et prendre conscience des réalités constituant la trame de son existence : la maladie, la vieillesse et la mort et comprendre qu'il lui sera impossible d’atteindre les buts vers lesquels son avidité le conduit. Il devra transformer sa douleur en énergie.
La nature est un personnage du film et en particulier la montagne qui est un symbole fort pour les Coréens : c’est l’origine des mythes donc le commencement et la fin de toutes choses. Cela correspond au symbolisme maternel pour nous.
L’ascension de la montagne, avec la pierre et la statuette, qu’effectue le moine, à la fin du film, exprime l’union des forces spirituelles et physiques. Le film nous montre que ces deux univers doivent s’harmoniser, trouver un équilibre au cours de notre existence. Porter la statue sur la montagne, commencement et fin de toutes choses, devient une façon d’introduire de la spiritualité dans l’univers de la réalité, de la violence et de la cruauté. Cela permet de créer un nouvel équilibre, de se proposer une transformation. Le rapport à la nature à travers la connaissance des plantes exprime ce qui est nécessaire au développement de la vie, au bien-être existentiel de la personne : cette faculté curative de la personne s’oppose aux manifestations de l’envie qui est l’expression de la possession qui ne sera jamais assouvie.

Bibliographie :
Artaud A, le Théâtre et son double, Paris, Gallimard, 1938
Fromm E, Avoir ou être, Paris, Ed. R. Laffont, 1978
Fromm E, Le cœur de l’homme, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2006
Mercurio A, Il mito d’Ulisse e la Bellezza seconda, Roma, SUR, 2005

 

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