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Shine: De la folie familiale à la renaissance

Date de publication : 24 Octobre 2008

Cosima Guérin, Extrait d’un travail sur le film, 1998

 

La folie familiale

 

Le film de Schott Hicks, Shine met en scène des espaces fermés, faiblement éclairés. A plusieurs reprises, le père de David apparaît seul dans l’obscurité d’une pièce. La maison est à l’image de la famille : les murs en préfabriqué évoquent des fondations fragiles, une clôture en barbelés entoure le jardin, métaphore de la méfiance à l’égard du monde extérieur.
Le fantasme de mère archaïque hante l’ensemble du groupe familial.
Ce fantasme transparaît plus particulièrement dans le discours et l’attitude du père qui se pose en éducateur absolu de son fils. Toutes les interactions montrent comment il exerce un contrôle permanent sur le corps et la pensée du jeune garçon.
« La vie est cruelle. Il faut survivre. Je ne laisserai personne détruire cette famille. Je suis ton père, David. Une seule chose compte, ta famille. Je suis un petit garçon qui a beaucoup de chance. Répète. Je sais mieux que personne ce qu’il te faut. Je sais où est ton intérêt. »

Cette éducation se déroule selon un modèle qui s’oppose aux principales lois de la vie. Le déni porte sur la filiation (Il ne s’agit plus de transmettre, mais de répéter, de faire revivre, ce qui n’a pas pu être vécu par le parent). Ainsi, grandir signifie pour David réaliser les fantasmes de toute puissance du père : « Quand j’étais petit, mon père a brisé mon violon. Tu as beaucoup de chance de pouvoir jouer de la musique, du piano ».
Le déni porte aussi sur la mort, sur le temps qui passe : on est frappé par l’absence de vie à l’intérieur de la maison, les fantômes du passé sont là, au présent : les fils barbelés évoquent le drame de la déportation.
Par ailleurs, tout événement inattendu, symbole de nouveauté, est rejeté. La porte se ferme, lorsque le professeur Rosen propose de donner des cours à David. Il ne faut pas que les choses changent, il ne faut pas que David construise un projet susceptible de l’éloigner du milieu familial. Chaque ouverture sur l’avenir est perçue comme une menace. Ainsi le feu détruira l’invitation pour les Etats-Unis dans un moment de furie du père.

Le déni porte encore sur les frontières générationnelles. David n’a pas une place d’enfant. Aucune étape maturative de l’évolution habituelle d’un enfant n’est respectée. Ainsi, David doit d’emblée interpréter un morceau de Rachmaninov, musique qui ne correspond nullement à des préoccupations d’enfant. Lorsqu’on voit David enfant pour la première fois dans le film, au moment où il s’apprête à monter sur l’estrade, on est frappé par son air sérieux et lorsqu’il se met à jouer, le piano lui échappe, comme s’il était trop grand pour lui.

La logique paradoxale de cette éducation est le reflet d’un lien symbiotique. Lorsque Rosen fait une remarque sur la sœur qui joue, le père de David s’empresse de dire : « Tous, ils jouent du piano, c’est moi qui leur ai appris ». La musique est devenue une sorte de peau commune qui relie tous les membres de la famille entre eux.
Les images et les dialogues du film montrent à quel point David n’a pas le droit d’avoir un espace psychique personnel, de grandir, de devenir « sujet ». Certains de ses propos sont éloquents : « J’aime aussi le tennis…Je m’entraîne contre un mur chez moi, la plupart du temps, je joue contre un mur », « Je n’ai pas grandi, j’ai plutôt rétréci. »
A la moindre manifestation d’une différenciation, David est disqualifié et menacé d’expulsion : « Si tu pars, tu ne remettras jamais les pieds ici. Tu n’auras plus de père. Tu ne seras plus le fils de personne. Tes sœurs perdront un frère ». Même quand David quitte le milieu familial pour étudier à Londres, le lien symbiotique continue à l’encercler.

David apparaît de plus en plus comme quelqu’un qui n’habite pas réellement son corps. Le retrait et le repli sur soi sont signifiés à de nombreuses reprises et plus particulièrement lorsque David est devenu adolescent. Son langage a perdu sa fonction de communication. On observe des automatismes et une forme de bégaiement, proche de l’écholalie. La scène où il se tient devant sa boîte à lettre, ayant oublié de mettre son pantalon, évoque le déni du corps et de la sexualité.
Les deux professeurs de piano disent de lui : « Il a des mains extraordinaires mais elles ne sont reliées à rien au-dessus des épaules. » A ce moment-là, David laisse tomber ses partitions qui sont éparpillées par le vent, métaphore de l’éclatement du moi, tel qu’il se manifeste dans les psychoses.

David reste prisonnier du projet paternel en jouant le morceau de musique de Rachmaninov. David retrouve quelque chose de la folie de son père dans le rapport avec son professeur de piano, Cécil. Celui-ci se laisse de plus en plus prendre au jeu d’une poursuite effrénée vers un absolu qui frise le délire. Les instances idéales sont au service de la pulsion et non au service du Moi qui se trouve débordé.
« Pense à deux mélodies distinctes qui se disputeraient la diplomatie. » « Le piano est un monstre. Soumets-le sinon il te mangera tout cru. » « Il faut que tu puisses jouer comme si demain n’existait pas. »

Dans sa course vers la réussite, David se perd dans le désir de son père. Séduit, il se risque à combler complètement ses attentes, à devenir son « phallus ». La séduction et la fascination dans le rapport père-fils est suggérée, à un autre moment dans le film, lorsqu’après une fête, David se réveille au pied d’une statue de lion, revêtu du boa rouge d’un travesti. Cette séduction se fait sur un mode, non pas Oedipien, mais sur un mode très archaïque. Il ne s’agit pas de la découverte de la sexualité, mais d’une fracture, d’une expérience qui ne s’intègre pas dans la personnalité de David. Tout est dans la mise en scène cinématographique qui suggère la discontinuité du vécu et l’altération de la conscience. A partir de cet épisode, la succession des scènes suggère l’effondrement imminent de la personnalité.

L’entrée dans la maladie mentale


L’effondrement de David est illustré de façon dramatique dans le film. La mise en scène du moment du concert qui précède l’hospitalisation symbolise avec force la perte des points de repères à travers les prises de vue bancales et la chute des lunettes. Tel un raz de marée, la musique emporte avec elle les fondations fragiles du Moi. Les mains se détachent du corps, l’image se brouille derrière la transpiration. Le choc de la tête sur la surface du piano marque la rupture avec la réalité.

Plusieurs évènements ont précipité la chute de David. Le père ne répond à aucune des lettres de David. Peu de temps après, Catherine décède et tout ce qui entretenait la relation lui revient comme si cette relation, symbole du lien à la mère, n’avait jamais existé. David se retrouve alors devant une béance qui va hâter l’entrée dans la folie. Il est hospitalisé la première fois après le concert et subit un électrochoc.
Il revient en Australie, téléphone à son père pour s’assurer qu’il a réceptionné sa médaille, espérant que celui-ci lui aura pardonné son départ. Le père, dans la mesure où il ne répond pas à l’appel du fils, rompt l’accès au symbolique. La fermeture brutale des volets, métaphore de la forclusion, signe l’entrée dans la psychose.

Pendant de longues années, l’hôpital semble jouer le rôle d’un nouvel utérus qui l’éloigne de la folie du père en lui interdisant de jouer du piano. Cette méthode radicale le protège de l’intrusion, de l’inceste paternel. L’absence, la frustration vont concourir à l’expression d’un désir, personnel, cette fois. David erre près de la salle de musique, et un jour, il pousse la porte et s’assoit à côté de Very. Elle s’aperçoit très vite qu’il est doué et qu’il est un pianiste célèbre.
A partir de là, David s’ouvre à la vie et au désir.

Vers une renaissance.

 

Pour la première fois dans le film, David exprime un désir envers une femme. Il lui touche les seins. Tel un enfant qui découvre le monde, il développe un côté ludique. Il rompt avec l’ascétisme familial. A travers l’eau, il retrouve le contact avec l’élément féminin, la mère. Il s’incarne progressivement au contact de cette force féminine et des différentes femmes qui vont désormais l’accueillir.
Il est accueilli par la femme du café qui comprend son langage, l’accepte tel qu’il est et ne le rejette pas. A partir de là, on retrouve la même image qu’au début du film, comme si une reconstruction de son identité devenait possible et comme si les choses pouvaient enfin se lier les unes aux autres. Il reviendra tout seul pour jouer sur le piano du café. Il époustoufle le public et gagne petit à petit son succès.

Il rencontre l’astrologue qui est une amie de la femme du café. Le premier contact est renversant. David saute, tout nu, sur un trampoline en écoutant de la musique, un casque sur les oreilles. Le bleu de l’image symbolise son entrée dans un monde à la fois sensuel et spirituel. Délivré de la prison paranoïaque, il accueille l’amour come un don du ciel. Les étoiles, message du Soi, le mettent en harmonie avec l’univers. Gilliane interroge ses vrais désirs et trouve la force de renoncer à un mariage de convenance. La fraîcheur et l’authenticité des émotions de David la ramènent à sa propre vérité.

 

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