Propositions théoriques | Théorisation de l’expérience | L'odyssée de Pénélope

L'odyssée de Pénélope

Date de publication : 10 Juin 2008

Soraya Laouadi

Sortir de la fusion mère-fille


Comment j’arrive au monde ? De quelles blessures je nais ? Quelles violences et colères m’habitent ? Quelles angoisses et douleurs m’étreignent ? Quelles potentialités et richesses me constituent ? Quels désirs me soutiennent ? Quelles énergies m’animent ? Quel est mon projet de vie ?
Pour nous permettre de nous donner des éléments de réponse, je vais vous conter l’odyssée de Pénélope aux multi-visages qui est en chacune de nous.

Tout commence dans la vie intra utérine (ou avant car transmis de génération en génération), Antonio Mercurio dans son livre sur le mythe d’Ulysse nous dit : « Nous apprenons à goûter à la beauté de la vie. Mais dans cette période, cette beauté est gravement attaquée par de nombreux traumatismes et par une grande quantité de haine que nous accumulons intérieurement contre les personnes, notamment nos parents, qui nous ont causé ces traumatismes souvent involontairement. Le mal-être à ces traumatismes se manifeste parfois dés la naissance. Parfois il y a une période d’incubation qui épargne l’enfance mais il explose ensuite avec toute sa virulence et la vie devient un labyrinthe infernale contenant un monstre effroyable qui nous dévore continuellement ».

Lors de la naissance, le fœtus quitte un milieu connu, un monde aquatique ; l’utérus, et doit faire face à un afflux de perceptions inconnues et d’expériences nouvelles qui constituent le traumatisme de la naissance. C’est la première rupture, qui, suivie de ruptures successives va permettre à l’enfant de grandir jusqu’à l’autonomie de l’âge adulte.
Pour les filles, l’une des ruptures les plus douloureuses est la rupture de la fusion mère/fille.
Je me propose de vous raconter l’histoire de Pénélope et de sa mère avec mes perceptions.
La rupture de la fusion mère-fille est souvent difficile car elle demande un travail de deuil très douloureux.

Pourquoi ?
Rencontrons la mère de Pénélope pour comprendre ce qui se passe :
Que se dit la mère de Pénélope quand elle conçoit sa fille et pendant la grossesse, quand elle dit : «Je veux une fille », « J’espère que j’aurai une fille et je l’appellerai Pénélope ».
Que se dit la mère à ce moment là ?
Elle voudrait que la fille qu’elle attend soit presque « elle-même », voir si elle ne censurait pas son imagination, elle irait même à désirer une fille qui soit exactement ce qu’elle aurait voulu être elle-même. Elle se projette dans son enfant. Le désir de la mère va envoûter, envahir le bébé fille. La mère séduit narcissiquement son enfant pour prendre possession de sa vie. (Référence au concept de séduction narcissique de Racamier ou au concept d’inceste intra-utérin d’A. Mercurio)
La mère va sacrifier sa fille à son besoin de signification, d’importance, de pouvoir et son besoin de confirmation. Attendre une fille lui donne l’illusion de réintégrer, baigner dans l’utérus de sa propre mère, de revivre sa propre conception. En général, le temps et la maturation aidant, ces mères fusionnelles finissent par admettre que leur fille Pénélope n’est pas l’incarnation, ni la réalisation de cet état de plaisir dont elles ont rêvé.

J’ouvre une parenthèse pour rappeler que le rôle du père ou du tiers qui représente la fonction paternelle aide aussi à la rupture de la fusion mère-enfant.
La naissance, l’enfance et l’adolescence de Pénélope auront été marquées par la possession.
Comment va procéder la mère de Pénélope ?
Elle qui rêve de faire de sa fille « une comme elle », de recommencer à travers elle, va pour arriver à ses fins garder Pénélope au stade où l’on fait un avec l’autre, où il n’y a pas d’autre, où l’on forme un tout sans altérité (sans autre). C’est dire l’emprise qu’elle doit s’assurer d’exercer sur Pénélope pour retarder la découverte de leur différence en tant qu’être.

Ces mères s’imposent à leur fille comme des mères toutes-puissantes car elles-mêmes ont hérité d’une blessure qu’elles tentent de réparer dans la maternité de mère en fille condamnées à transmettre la blessure. Le plus souvent cette mère dont l’enfance a été aussi une traversée d’humiliations et d’échecs, ressent le besoin d’amplifier, de magnifier son existence pour masquer sa carence d’amour.
A la vue de celle qui a pour destin d’être son propre destin recommencé à neuf, la mère va nier ses blessures pour apparaître comme une personne sans faille, toute puissante, l’image de la perfection incarnée : elle n’a jamais été abandonnée, jamais été rejetée, jamais été castrée.
Cette image de perfection pallie alors la crainte de l’effondrement et repoussent la dépression dans les profondeurs de l’oubli. Mais c’est précisément là que sa dépression va être transmise à sa nouvelle née, sa fille Pénélope. Plus la détresse est grande chez la mère, plus elle va intruser Pénélope et devenir une mère violente.

Et Pénélope ?
Face à ces décharges d’émotions de la mère, et menacée elle aussi d’anéantissement, Pénélope va chercher ce que la mère cherche : le peau à peau, le corps à corps.
Quand la mère de Pénélope va l’attirer à elle, ce sera pour lui proposer de vivre comme si elles ne formaient toujours qu’un seul être. Pénélope terrorisée par l’angoisse d’anéantissement se croyant alors à l’abri de la solitude et de l’abandon, mais ce n’est qu’une illusion, va s’engouffrer dans cet espace. Le plaisir et le désir d’être soi céderont la place à la nécessité de l’auto conservation.
La mère a besoin de fusionner, le bébé aussi. Elles s’accrochent l’une à l’autre comme une bouée de sauvetage. Mais la dépression change alors de camps et c’est Pénélope qui assumera l’angoisse et l’effroi de sa mère. Pénélope devient le thérapeute de sa mère.


Pénélope va se composer un faux self, un self soignant, pour réparer sa mère. Elle se met à l’écoute des besoins de sa mère en oubliant les siens propres. Pénélope va s’appliquer à deviner les désirs inconscients de sa mère à travers les intonations de sa voix, les expressions de son visage. Pénélope renonce à son vrai self pour être la béquille, le bouche-trou de sa mère. En n’éprouvant rien, elle s’ampute de ce qu’il y a de spontané en elle. Elle renonce à ses propres besoins. Elle doit toujours prévoir, savoir ce que l’autre pense, ressent. Elle doit être hyper vigilante pour capter les besoins de l’autre et y répondre. C’est sa mission première, une question de survie. Une relation sado masochiste naît, la dominante qui ne veut pas perdre la dominé la contraint à la dépendance totale. Cette relation d’emprise est celle d’une relation incestuelle. Racamier décrit une relation non incestueuse, non sexuelle mais d’emprise.

Quelle est la grande terreur ressentit à l’idée de rompre avec cette fusion ?
Cela équivaudrait fantasmatiquement à un double meurtre : celui de la mère et par là celui de Pénélope. L’union fait la force, restons groupés. On aura compris que Pénélope qui grandit au sein d’une telle fusion incestuelle aura toutes les peines du monde à s’individualiser.

A l’adolescence, la lutte engagée entre les deux rivales est féroce.
Tous les coups sont permis, au moment où Pénélope tente de récupérer une peau pour elle.
Ne pas voir, ne pas percevoir, s’aveugler soi même sur soi même est une façon de se constituer une carapace primaire. Parfois en détruisant son corps (anorexie, boulimie) c’est le corps de l’autre, de la mère, imaginairement confondu avec le sien qui est visé. En effet, l’adolescence est la reviviscence des conflits premiers avec la mère.

Comment la fille parvient-elle à se détacher de sa mère et à intégrer un lien érotique profond avec elle ? Où investira-t-elle cette composante homosexuelle vitale pour sa vie d’adulte ? La petite fille, puis la jeune fille s’intéresse à ce qui l’attend en tant que femme, à son destin féminin. L’image fascinante d’un corps de femme désirable s’édifie à l’endroit où il n’y a ni identité sexuelle, ni transmission de traits féminins de mère à fille.

Comment Pénélope peut-elle se sortir de la fusion ?
Elle doit retrouver sa vérité c’est à dire récupérer le désir d’être mais aussi le désir d’avoir eu envie d’éliminer sa mère. Il y a une énorme douleur que de quitter l’utérus et d’accepter à naître. Quand la mère intériorisée est mauvaise, cela va augmenter la problématique car pour qu’elle puisse nous laisser partir, il faut que la mère soit bonne. Si nous, toutes les pénélopes en nous veulent retrouver le coté positif de leur mère, il faut alors accepter d’aller contacter toute leur colère et toute la douleur de ce qu’elles ont pu vivre, que cela soit pour des raisons réelles ou fantasmatiques.
La vraie façon de se libérer de la mauvaise mère, c’est de contacter cette haine qui empêche Pénélope de contacter la partie positive de sa mère. Chacune des Pénélopes ici-bas nous avons un océan de douleur qu’il nous faut contacter. C’est par là que nous allons nous donner la possibilité de récupérer un destin positif.

Pénélope c’est vous c’est moi, alors comment nous sortir de l’emprise ? Comment se libérer de la mère archaïque ?
La véritable autonomie peut se trouver en sachant contacter sa haine envers la mère intériorisée, la traverser, l’assumer et en faire le tour. Le rôle du père y aidera, s’il a une puissance animée par l’amour. S’il s’est libéré de la mère négative intériorisé, alors il sera capable de casser la symbiose.

Je conclurai par ces mots d’Antonio Mercurio : 
" La douleur sert toujours pour créer, créer une nouvelle identité.
Pour pouvoir réaliser cela il est indispensable d’aller débusquer la haine et de l’enrayer, de plier l’orgueil blessé et de renoncer au projet de vengeance. Cela demande un long chemin et se dissipe par le pardon. Mais il est bête et ingénu de penser que l’on puisse pardonner en une seule fois aux personnes qui nous ont fait du mal pendant notre enfance ou même pendant notre vie intra utérine. Le pardon est une histoire infinie, un parcours en spirale avec de nombreuses spirales.

Pour sonder les abysses du passé, j’ai utilisé la connaissance du présent. J’ai utilisé la douleur du présent pour faire ressortir et retraverser la douleur du passé, ensuite toute ma créativité artistique pour créer un futur meilleur »

 

© Copyright AFSA 2008. Tous droits réservés.