Du côté des livres | Autres articles | Psychothérapie et exclusion
Psychothérapie et exclusion
Date de publication : 10 Juin 2008
Cosima Guérin, psychologue clinicienne, psychanalyste formée à l’ISAP.
Dans cette étude, je souhaite vous proposer des pistes de réflexion issues de mon expérience de psychanalyste sophia-analyste formée à l’Institut de Sophia-analyse de Paris et de mon travail auprès de personnes en difficultés sociales et professionnelles. L’éclairage portera sur les effets psychologiques et existentiels de l’exclusion et sur le rôle de la psychothérapie dans le champ du social.
Les professionnels qui travaillent avec des personnes en situation de détresse psychologique et sociale ont relevé un certain nombre de troubles et de comportements apparaissant chez un grand nombre d’exclus. La souffrance psychosociale est à l’origine de la perte des repères du temps, de l’espace, d’une dépréciation permanente de soi, de conduites auto-destructrices, d’un non respect du corps, d’une répétition des conduites d’échec, de troubles psychiatriques divers.
On observe aussi des comportements susceptibles de constituer des freins à l’insertion. Il s’agit le plus souvent d’attitudes d’attente passive de solutions magiques alternant avec des expressions de colère vis-à-vis des institutions, des pouvoirs en place, de la société. Les causes de la souffrance sont massivement attribuées par les exclus à l’environnement jugé comme trop défaillant pour mériter la confiance, mais dont on attend toutefois une assistance matérielle.
L’attribution des difficultés à des causes personnelles, engageant sa propre responsabilité, devient difficile, voire impossible. Cette vision de soi et du monde s’accompagne souvent d’une absence de demande de soins, tant sur le plan psychologique que sur le plan de la santé. Le refus de l’exclu d’être aidé en tant que sujet parce qu’il se vit comme un objet rejeté par la société provoque chez les professionnels de l’insertion et de la relation d’aide un sentiment d’impuissance et d’inutilité.
Comment pouvons-nous comprendre ces phénomènes du point de vue de la psychopathologie ?
L’expérience montre que la situation de chômage prolongée engendre des modifications profondes de la personnalité. L’exclusion, la solitude, le rejet entrent en résonance avec les blessures infantiles et réactualisent les situations traumatiques du passé. Une nouvelle identité se construit autour de la blessure narcissique et identitaire. Cette blessure, au lieu d’être vécue, rendue consciente, puis élaborée, disparaît en tant qu’affect et en tant qu’émotion pour apparaître de manière diffuse mais non moins agissante dans les différents domaines de la vie.
Il en résulte une fragilité au niveau de la structure de la personnalité que nous pouvons rapprocher de ce que Jean Bergeret appelle les a-structurations et que d’autres auteurs appellent les troubles limites de la personnalité.
Les mécanismes de défense prévalant ne sont plus le refoulement, comme c’est le cas dans les problématiques névrotiques. On observe une sorte d’hémorragie psychique qui s’accompagne de la perte de la capacité de rêver et d’élaborer les conflits au niveau psychique. Les personnes en situation de précarité sociale et professionnelle se comportent souvent comme si elles étaient réduites à agir ou à écouler leurs tensions sur un mode somatique. La pauvreté de leur vie quotidienne s’accompagne parfois d’une pauvreté sur le plan de leur vie fantasmatique et c’est précisément cette carence des mécanismes mentaux qui rend difficile l’élaboration d’une demande au sens psychothérapique.
La psychothérapie existentielle, notamment les travaux d’Antonio Mercurio sur l’inconscient existentiel, m’amènent à développer d’autres considérations sur les phénomènes d’exclusion.
Les difficultés d’élaboration psychique des conflits chez les personnes en situation de détresse psychosociale mettent en lumière les tendances de tous les êtres humains amenés à vivre une situation traumatique qui porte atteinte aux besoins vitaux. Cela signifie que les troubles observés chez les exclus se rapprochent fortement de la souffrance infantile précoce ou de toute souffrance intolérable à l’âge adulte (deuil, conflits raciaux, guerre, catastrophes naturelles…).
Antonio Mercurio, qui s’est notamment penché sur les souffrances que peut vivre le fœtus au cours de la vie intra-utérine, a montré que lorsque la survie et l’identité sont menacées, l’être humain utilise des mécanismes de défense puissants qui, s’ils préservent son intégrité dans un premier temps, constituent un lourd handicap à l’âge adulte.
Ces mécanismes de défense peuvent être assimilés à des formes de refoulement spécifiques, distinctes du refoulement tel qu’il a été conçu par Freud. Le refoulement dont parle A. Mercurio ne porte pas principalement sur les éléments pulsionnels. Il porte sur les réponses que l’individu a développées en réponse aux dommages subis. Ce sont ces réponses qui font retour sous diverses formes tout au long de la vie, aussi longtemps qu’elles n’ont pas été rendues conscientes et élaborées. A. Mercurio souligne que ces réponses sont pour une part caractérisée par la haine et le désir de vengeance. L’inconscient existentiel comprend de ce fait un niveau réactionnel et un niveau décisionnel en plus du niveau historique (évènements refoulés).
Lorsque l’on travaille avec les exclus, ces éléments (haine et désir de vengeance) sont perceptibles à plusieurs niveaux. Ils apparaissent par exemple dans un discours fermé, négatif et désabusé, qui rend l’interlocuteur impuissant. La personne met en avant certains facteurs sur lesquels le praticien de la relation d’aide ne peut pas avoir de prise, du type : "De toute façon, je suis trop vieux" ou : "Vu mon niveau, c’est même pas la peine d’essayer".
Ces éléments apparaissent aussi dans les attitudes d’attente passive de solutions magiques qui ne tiennent pas compte de la réalité ou dans les comportements vindicatifs. Plus précisément, la haine et le désir de vengeance s’expriment dans le style de vie caractérisé par l’assistanat et la marginalité. On attend que la société répare les torts causés tout en gardant une vision très négative des pouvoirs en place et des institutions.
Quel peut-être le rôle de la psychothérapie auprès des exclus ?
L’absence de demande de soins ne permet pas de proposer un suivi d’ordre psychothérapique à un grand nombre de personnes en situation de précarité même si le suivi est gratuit ou remboursé. Mon expérience m’a montré que d’autres formes de soutien et d’aide étaient possibles.
Je me réfère pour cela aux travaux de Winnicott, qui propose de faire une distinction entre la relation d’objet intériorisée et la relation à l’objet. Lorsque les traumatismes subis au cours de l’enfance sont trop importants, une relation d’objet vivifiante et constructive n’a pas pu être intériorisée par le sujet. Il faut alors avoir recours à l’environnement présent et à ses ressources réparatrices. Pour les personnes en difficulté sociale et professionnelle, cet environnement peut-être représenté par les stages que l’état français propose. Ces stages sont rémunérés et comprennent une remise à niveau dans les matières scolaires et un accompagnement vers l’emploi.
Faire un travail sur la relation d’objet dans le sens où l’entend Winnicott, signifie que le praticien s’intéresse à la manière dont on va proposer l’objet à l’individu, pour qu’il puisse l’utiliser positivement, qu’il puisse se réparer au contact de cet objet et qu’il puisse passer d’un état de régression traumatique à un état de régression structurant.
Ce n’est que dans un deuxième temps qu’un travail sur la violence et le désir de vengeance devient possible. Ce travail pourra par exemple se faire en partant de la relation pédagogique. Le formateur ou le psychologue pourront par exemple pointer le refus de voir les aspects positifs de la situation de formation ou la tendance à se complaire dans une situation d’échec, de rejet.
Conclusion :
La psychothérapie peut jouer un rôle déterminant par le regard qu’elle apporte sur la souffrance des personnes et sur l’impact psychologique des outils pédagogiques. En effet, les pouvoirs en place et les formateurs eux-mêmes sous-estiment souvent la valeur symbolique de l’aide qu’ils apportent à travers la formation, qu’elle soit professionnelle ou scolaire. La question des professionnels de la psychothérapie n’est pas de savoir comment l’objet peut remettre le stagiaire sur les rails de l’insertion professionnelle. Cette question intéresse ceux qui financent ces actions et les centres de formation qui doivent justifier de résultats en termes de placement professionnel des demandeurs d’emploi.
L’objet de la psychothérapie dans le champ du social est d’aider les professionnels de l’insertion à élaborer et à contenir ce que les stagiaires ne réussissent plus à élaborer. Le rôle des psychanalystes est de contribuer à ce que les dispositifs mis à la disposition des demandeurs d’emploi répondent non seulement aux besoins matériels et techniques des chômeurs, mais aussi à leurs besoins psychologiques et humains.
Bibliographie :
Berger M, Entretiens familiaux et champ transitionnel, Paris, PUF, 1986.
Berger M, Pratique des entretiens familiaux, Paris, PUF, 1987.
Bergeret J, La violence fondamentale, Paris, Dunod, 1984.
Binswanger L, Introduction à l’analyse existentielle, Paris, Minuit, 1971.
Mercurio A, Teoria dell’inconscio esistentiale, Roma, Costellazione di arianna, 1995.
Winnicott D.W., « L’utilisation de l’objet et le mode de relation à l’objet au travers des identifications », in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975.
© Copyright AFSA 2008. Tous droits réservés.