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La formation sophia-analytique : un espace thérapeutique

Date de publication : 10 Juin 2008

Cosima Guérin, (Extrait du livre : FF2P, « Pourquoi la psychothérapie ? », Paris, Dunod, 2005.)


Comment articuler la connaissance intime de soi avec les savoirs théoriques et scientifiques qui sous-tendent et légitiment la profession de psychanalyste ? Est-il possible de créer un espace où l’accès à la théorisation et à la conceptualisation, loin de produire un clivage ou une intellectualisation névrotique, enrichit et accélère le processus thérapeutique en cours ?
La possibilité d’articuler formation et travail sur soi m’a été transmise par l’institut de Sophia-analyse de Paris où j’ai effectué ma formation de psychanalyste et où depuis 1995 j’enseigne la psychopathologie. Mon propos est de montrer comment les cours de psychopathologie peuvent devenir un espace thérapeutique où la compréhension du fonctionnement psychique naît de la rencontre entre langage intérieur et langage théorique.
Les situations cliniques, du fait qu’elles s’adressent à des psychanalystes en formation qui suivent tous une psychothérapie individuelle et en groupe depuis plusieurs années, permettent de pousser plus loin la réflexion sur l’articulation entre travail sur soi et formation théorique. Comme nous le verrons, l’objectif des cours proposés aux élèves de l’ISAP est double: ils doivent permettre à l’élève d’accéder à un savoir et à un langage reconnus par le milieu universitaire et les professions voisines ( psychiatres, psychologues, psychanalystes) tout en lui proposant d’approfondir la connaissance intime de ses propres fonctionnements psychiques, ce qui inclut aussi l’analyse des représentations et résistances liées à l’apprentissage théorique lui-même et à la formation.

Le cours de psychopathologie : De la crise intérieure au pouvoir de rêver
Saisir le sens d’un mot, d’un concept, n’est-ce pas d’abord éprouver un état de saisissement qui n’est pas sans rappeler le point de départ du travail de création ? Dans « Le corps de l’œuvre » Didier Anzieu affirme que « devenir créateur, c’est laisser se produire, au moment opportun d’une crise intérieure…une dissociation ou une régression du Moi, partielles, brusques et profondes ».
Comme le précise l’auteur, cet état de régression s’accompagne d’un état d’éveil où la partie du Moi restée consciente exerce alors son activité de liaison en vue de transformer en création possible certains produits psychiques primaires ignorés où excentrés jusque-là.
L’état de saisissement qui précède l’acte créateur n’est pas sans évoquer la « veille paradoxale », concept clé de l’hypnose telle que la définit François Roustang. Loin d’être passive, l’hypnose ainsi définie permet, par l’imagination, d’anticiper et de transformer nos comportements et nos agissements. La veille paradoxale est faite pour réintégrer à l’intérieur ce qui est subi en vue de créer un nouveau rapport à l’environnement.
La méthode sophia-analytique utilise quant à elle des supports spécifiques qui favorisent cet état d’éveil, proche de la « crise intérieure » ou de la « veille paradoxale », état où l’imaginaire peut se déployer pour transformer notre compréhension de nous-mêmes et du monde. Dans les cours, ce sont essentiellement les supports cinématographiques et les études de cas qui sont utilisés : apprendre c’est d’abord éprouver, mettre en images au contact d’un environnement soutenant, stimulant.

Le support cinématographique est ce qui au début du cours assure une continuité avec le processus de psychothérapie individuel. Les réalités psychiques contenues dans les scènes du film entrent en résonance avec les représentations psychiques de l’élève.
Dans un premier temps l’élève « entre » dans le film, se laisse guider par ses émotions tout en restant dans un état de vigilance accrue et de réceptivité. Une grille de lecture proposée au préalable permet précisément de « soutenir » la partie du Moi restée consciente, de manière à éviter une dissociation trop brutale ou un état de confusion peu propice à l’apprentissage.
La grille de lecture a aussi pour fonction d’introduire le contenu théorique et les axes principaux du cours qui fourniront la structure et les bases théoriques avec lesquelles les élèves auront à se familiariser. A la fin du film, les personnes du groupe sont d’abord invitées à exprimer leur vécu. C’est souvent à ce moment là que les élèves éprouvent un état de saisissement qui présente les caractères d’une régression et / ou d’une dissociation (partielles et temporaires car induites par l’outil pédagogique).

Le travail de liaison à partir du film
Nous allons voir à présent, comment dans cette démarche, les principaux concepts théoriques prennent progressivement forme à partir du « corps de l’œuvre » cinématographique.
L’interprétation du film en groupe permet de fixer les contenus psychiques inconscients dans le préconscient grâce à la partie du Moi dédoublée et restée apte à l’observation. Nous assistons à un travail d’établissement de liens, de mise en symbole de représentants psychiques et d’affects. Pendant toute cette phase les élèves sont invités à rester au plus près du film. Cette proximité entre eux et le film passe nécessairement par des mouvements d’identification avec le ou les personnages principaux, dont la réalité intérieur s’exprime comme dans un rêve à travers l’ensemble des éléments qui composent les scènes du film (évènements, personnages auxiliaires, dialogues, symboles, prises de vues, ambiances…).
Progressivement le langage du film est traduit en langage théorique. Telle scène, tel symbole ou telle attitude de l’un des acteurs sont mis en rapport avec un mécanisme de défense, un type d’angoisse, une instance psychique (Moi, Surmoi, Idéal du Moi…), une imago parentale…

De la capacité intuitive à la capacité réflexive
L’introduction des concepts théoriques à travers les définitions, les tableaux et la lecture des écrits des différents auteurs marque le point de départ du travail d’abstraction vers un ordre symbolique. C’est précisément à ce moment là que s’effectue le passage du processus de psychothérapie personnel et subjectif vers le registre du « non soi », de l’universel et de l’observable. C’est le moment où l’élève commence à se familiariser avec le corpus théorique et méthodologique qui confère à l’exercice de la psychothérapie sa rigueur et ses fondements scientifiques. L’effet de distanciation produit par l’apprentissage des concepts théoriques met presque inévitablement les élèves dans un état de tension et d’angoisse.
La nécessité de passer d’un registre à l’autre selon un mouvement dialectique et non conflictuel implique un effort de liaison à chaque fois renouvelé. N’est-ce pas l’art du psychanalyste que d’arriver à réunir deux qualités apparemment opposées et qui relèvent de deux natures différentes. Parvenir à associer empathie et interprétation, intuition et conceptualisation où encore comme l’affirme Antonio Mercurio, principe féminin et principe masculin, ce qui, comme il le précise dans plusieurs écrits et conférences revient aussi à harmoniser rationalité et émotivité, capacité réflexive et capacité intuitive, capacité d’exploration du monde intérieur et capacité d’exploration du monde extérieur.
D’autres auteurs qui ont réfléchi à l’art d’exercer la psychothérapie ont contribué, chacun selon ses propres critères terminologiques, à définir une « dualité » qui n’est ni de l’ordre du dilemme, ni de l’ordre du paradoxe, et qui constitue en même temps une qualité essentielle de la psyché, qualité qui se rapprocherait le plus de l’ambivalence, mais avec cette différence que l’ambivalence est du ressort des pulsions objectales, tandis que cette « dualité » serait plutôt du ressort du narcissisme et coordonnerait l’interne et l’externe.
La théorie de Donald Winnicott, sa manière originale de définir les objets transitionnels apporte sans aucun doute un éclairage intéressant sur ce principe organisateur tel qu’il peut opérer dans un contexte pédagogique. En effet, on doit à cet auteur, l’idée que le passage de l’interne vers l’externe, du narcissisme vers la relation d’objet ne peut s’effectuer sans dommages ou risques d’empiètement de la part de l’environnement que s’il existe une « aire intermédiaire » qui tout en rendant la transition plus progressive et plus aisée respecte la créativité de l’enfant. Il en va ainsi pour l’ours en peluche qui est à la fois de moi et non de moi. Donald Winnicott insiste sur le caractère indécidable de cette coexistence. L’objet trouvé est à la fois un objet crée.
Dans le contexte de formation qui nous intéresse ici, on pourrait établir un parallélisme entre l’ « empiètement de la part de l’environnement » et un enseignement exclusivement théorique, transmis à partir de cours magistraux et sous-tendu par la logique de l’adaptation. L’élève soumis se conformerait aux positions théoriques de ses maîtres sans résonance intime, ni véritable travail de liaison ou introjection des bases théoriques. L’utilisation des supports cinématographiques permet justement de préserver une «aire d’illusion » et satisfait la nécessité de concilier principe de plaisir et principe de réalité.
A la lumière de ces différents travaux dont le point commun est de souligner l’importance de la capacité d’harmonisation de l’espace interne et de l’espace externe, il apparaît que l’intégration des savoirs théoriques repose nécessairement sur une capacité du psychisme à relier des qualités de natures différentes, sans les confondre en niant leur spécificité, ni les mettre en désaccord en les opposant. Deux qualités retiennent plus particulièrement notre attention pour le cours de psychopathologie. Il s’agit de la capacité réflexive (synthétique, inductive-déductive), associée à la capacité intuitive (analytique).


L’outil pédagogique qui me semble le plus à même d’amener l’élève à ce travail de liaison entre rationalité et émotivité est l’étude de cas.
Dans un premier temps, les élèves « s’imprègnent » du cas, projettent leurs fantasmes personnels, s’identifient, accueillent et explorent leurs propres émotions liées à l’histoire du patient et à sa problématique. Autrement dit, ils explorent la résonance du cas sur leur monde intérieur. Ils font appel à la capacité intuitive. Comme au moment de la vision du film, ils éprouvent parfois un état de saisissement proche de la crise intérieure.
Puis, il leur faut aller plus loin en rédigeant un devoir écrit et c’est là que le difficile travail de liaison démarre. D’une attitude réceptive qu’ils connaissent bien du fait du long travail de psychothérapie déjà effectué, et en s’appuyant sur celui-ci, ils doivent s’excentrer, mettre à distance leurs fantasmes et représentations personnelles, leurs projections et leurs angoisses pour entrer dans un ordre symbolique. Sur ce chemin ils auront à affronter l’angoisse de castration, car il s’agit de quitter une position de toute puissance infantile, de jouissance liée à une fusion symbiotique pour faire une place au Surmoi exigeant et régulateur en matière de travail à fournir. Nous sommes passés de la capacité intuitive à la capacité réflexive.
Si nous revenons à l’éclairage de Didier Anzieu à propos du travail créateur, nous remarquons que le travail écrit à partir des études de cas nous amène aux deux dernières phases du travail de création. Il s’agit de la  "composition de l’œuvre" et de sa production "au-dehors".
Rappelons nous : nous étions d’abord passés par le saisissement créateur (au contact du film et à la lecture du cas), puis les élèves ont commencé à associer, établir des liens en s’appuyant sur certains acquis de leur travail personnel de psychothérapie (deuxième phase : prise de conscience des contenus psychiques inconscients) pour ensuite se familiariser avec le corpus théorique de la psychopathologie (troisième phase : instituer un code et lui faire prendre corps).
A propos des deux dernières phases du travail de création, Anzieu met l’accent sur le travail de deuil. L’écriture oblige le sujet à renoncer au sentiment d’avoir tout dit du simple fait de parler. Il faut donc traverser une période de solitude et de désillusion. Période féconde car elle rend possible l’exercice d’une créativité personnelle.
La finalisation du devoir quant à elle, entraîne la nécessité de se séparer de « l’œuvre », donc d’une partie de soi, pour affronter le regard d’autrui, les jugements, les critiques.
Si bien des élèves mettent beaucoup de temps avant de rendre leurs devoirs, c’est à cause des résistances auxquelles l’appareil psychique a recours pour se protéger des angoisses de castration et pour se défendre d’une dynamique dépressive.

Conclusion
Je souhaite avoir montré comment le processus de formation et le travail d’intégration des bases théoriques s’associent au processus de psychothérapie, l’enrichissent. La nécessité d’harmoniser pour cela des qualités de nature différentes est à l’image du fonctionnement psychique lui-même. Participant à la fois de l’interne et de l’externe, du principe féminin et du principe masculin, de la fonction maternelle et de la fonction paternelle, cet espace est un lieu de recherche et d’élaboration complexe et vivant.

Bibliographie :
Anzieu D., Le corps de l’œuvre, Paris, Gallimard, 1981, p 93-107 et 125-130.
Roustang F., Qu’est-ce que l’Hypnose ?, Paris, Ed.de Minuit, 1994, p 14.
Mercurio A., Mercurio P., 1er congrès international de Sophia-analyse à Assises, Italie, 1987.
Winnicott D.W, Jeu et réalité, Paris Gallimard, 1975.

 

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